Nostradamus
Satan ?
– Sans doute. Mais cela n’a rien de
commun avec la bourse qu’il s’agit de subtiliser… car c’est là ton
idée.
– Il paraît que tu prends des
accommodements avec le ciel ?
– Eh ! tripes du pape ! s’écria
le dévot Trinquemaille. C’est ce qui me distingue de vous autres
païens. M’est-il jamais arrivé d’aller planter ma dague entre deux
épaules sans avoir tout d’abord récité un bon
De profundis
et ensuite
un Deo gratias,
lorsque toutefois l’opération
est profitable ? Des accommodements avec le ciel ou avec
Satan ! Quel est le bon chrétien dûment baptisé qui n’en prend
pas ? Voyons l’idée !
– Voici, dit alors Strapafar. Il y a
trois jours, lorsque l’idée nous est venue de prendre ce logis pour
notre forteresse…
– C’est moi qui y ai pensé ! dit
Corpodibale. Malheureusement, celui que j’espérais y trouver n’y
était pas. Ah ! s’il était là, nous ne serions pas à demi
morts de faim et de soif.
– Donc, il y a trois jours, reprit
Strapafar, vous m’avez vu sortir sur le coup de 9 heures, té ?
Je cherchais de tous mes yeux. Rien ! Pas le moindre bourgeois
à me mettre sous la dent. Je m’en retournais tête basse, lorsque
soudain je vois deux hommes. Je les suis. Ils arrivent aux abords
de l’hôtel du grand-prévôt Roncherolles…
– Hon ! Mauvaise affaire !…
– Les mauvais bougres auraient crié et
j’aurais eu toute la prévôté sur les bras. Et pourtant, les deux
compères doivent avoir une fortune sur eux. Un reflet de lune a
frappé sur la poignée de leurs épées. Il y a pour deux mille écus
de diamants sur ces poignées…
– Et tu les as laissés échapper !
rugit Corpodibale.
– Attends ! fit Strapafar. Le
lendemain, je suis encore sorti pour chercher. Rien,
toujours ! Et voilà que l’idée me vient d’aller rôder un peu
autour de la grande prévôté, pour voir ! Et qu’est-ce que je
vois ? Mes deux parpaillots !
– Toujours avec les mêmes poignées
d’épées ?
– Toujours, té ! Est-ce que j’en
parlerais, sans ça ? Hier, même coup d’œil ! Les deux
endiamantés étaient là ! Qu’y font-ils ? Voilà qui m’est
égal ! Mais je me dis qu’il n’y a aucune raison pour que les
deux coquins n’y soient pas encore ce soir, et à la même heure,
c’est-à-dire vers minuit. Qu’en dites-vous ?
Il était à ce moment 11 heures. Pour toute
réponse, Trinquemaille se jeta autour du cou le chapelet qu’il
avait coutume d’emporter à chaque expédition importante, et s’arma
d’une rapière. Quant à Corpodibale, il avait achevé de fourbir sa
dague. Bouracan, réveillé, mis au fait, s’arma à son tour. Puis les
quatre sacripants s’élancèrent au dehors et prirent le chemin de la
grande prévôté.
– Silence ! dit tout à coup.
Strapafar.
Et il leur montra deux hommes marchant devant
eux. Ils les suivirent, les mâchoires serrées… Les deux inconnus
s’arrêtèrent sous une fenêtre éclairée de l’hôtel Roncherolles.
– Attention ! commanda
Strapafar.
Ils s’apprêtèrent à bondir… À ce moment, d’une
ruelle, débouchèrent trois hommes, ramassés eux aussi pour le
bondissement sur la proie. Ces trois furent suivis de deux autres…
Les quatre malandrins espéraient que ces nouveaux venus étaient des
passants attardés ; mais soudain, cinq autres de ces passants
surgirent, puis encore trois !
– Malédiction ! gronda
Trinquemaille.
– Bah ! fit Bouracan. Attaquons tout
de même. J’aime mieux crever de ça que de faim !…
II – LA PASSION DE RONCHEROLLES
Dans cette chambre de l’hôtel Roncherolles
dont la fenêtre était éclairée, vers le moment où Strapafar,
Trinquemaille, Corpodibale et Bouracan tenaient conciliabule dans
le logis de la rue Calandre, le grand-prévôt venait d’entrer.
Comme tous les soirs, le baron Gaétan de
Roncherolles avait fait sa ronde
intra
et
extra
muros,
une ronde minutieuse. Cela fait, il s’était, comme tous
les soirs, encore dirigé vers les appartements de sa fille.
Tels nous avons vu Roncherolles en sa première
jeunesse, méditant la perte de Renaud, tel nous le retrouvons.
Seulement, les cheveux ont grisonné. Le visage a maigri. Il
apparaît comme ces êtres de deuil dont le seul aspect glace les
cœurs.
Et pourtant tout a réussi à Roncherolles. Il
est le favori du roi. Grand-prévôt de Paris. Henri II vient de
lui promettre de le nommer chancelier. Il est vrai
Weitere Kostenlose Bücher