Oeuvres de Napoléon Bonaparte, Tome II.
le traité d'alliance qu'on a fait avec lui, se trouve à l'instant même notre ennemi, puisque, dès cet instant, il comprend que nous avons médité sa perte.
Pendant mon absence, il se chicanera nécessairement avec la république cisalpine, qui n'est pas dans le cas de résister à un seul de ses régimens de cavalerie : d'ailleurs, je me trouve alors obligé de calculer, en regardant comme suspectes les intentions du roi de Sardaigne : dès-lors il faut que je mette deux mille hommes à Coni, deux mille à Tortone, autant à Alexandrie.
Je pense donc que si l'on s'indispose avec le roi de Sardaigne, on m'affaiblit de cinq mille hommes de plus que l'on m'oblige à mettre dans la garnison des places que j'ai chez lui, et de cinq à six mille hommes qu'il faut que je laisse pour protéger le Milanais, et, à tout événement, la citadelle de Milan, le château de Pavie et la place de Pizzigithone.
Ainsi donc, vous perdez, en ne ratifiant pas le traité avec le roi de Sardaigne :
1º. Dix mille hommes de très-bonnes troupes qu'il nous fournit ;
2º. Dix mille hommes de nos troupes qu'on est obligé de laisser sur nos derrières, et, outre cela, de très-grandes inquiétudes en cas de défaite et d'événemens malheureux.
Quel inconvénient y a-t-il à laisser subsister une chose déjà faite ?
Est-ce le scrupule d'être allié d'un roi ? Nous le sommes bien du roi d'Espagne et peut-être du roi de Prusse !
Est-ce le désir de révolutionner le Piémont et de l'incorporer à la Cisalpine ? Mais le moyen d'y parvenir sans choc, sans manquer au traité, sans même manquer à la bienséance, c'est de mêler à nos troupes et d'allier à nos succès un corps de dix mille Piémontais, qui, nécessairement, sont l'élite de la nation : six mois après, le roi de Piémont se trouve détrôné.
C'est un géant qui embrasse un pygmée, le serre dans ses bras et l'étouffe sans qu'il puisse être accusé de crime.
C'est le résultat de la difficulté extrême de leur organisation. Si l'on ne comprend pas cela, je ne sais qu'y faire non plus ; et si à la politique sage et vraie qui convient à une grande nation, qui a de grandes destinées à remplir, des ennemis très-puissans devant elle, on substitue la démagogie d'un club, l'on ne fera rien de bon.
Que l'on ne s'exagère pas l'influence des prétendus patriotes cisalpins et génois, et que l'on se convainque bien que, si nous retirions d'un coup de sifflet notre influence morale et militaire, tous ces prétendus patriotes seraient égorgés par le peuple. Il s'éclaire tous les jours et s'éclairera bien davantage ; mais il faut le temps et un long temps.
Je ne conçois pas, lorsque, par une bonne politique, on s'était conduit de manière que ce temps est toujours en notre faveur, qu'en tirant tout le parti possible du moment présent, nous ne faisons qu'accélérer la marche du temps en assurant et épurant l'esprit public, je ne conçois pas comment l'on peut hésiter.
Ce n'est pas lorsqu'on laisse dix millions d'hommes derrière soi, d'un peuple foncièrement ennemi des Français par préjugés, par l'habitude des siècles et par caractère, que l'on doit rien négliger.
Il me paraît que l'on voit très-mal l'Italie, et qu'on la connaît très-mal. Quant à moi, j'ai toujours mis tous mes soins à faire aller les choses selon l'intérêt de la république : si l'on ne me croit pas, je ne sais que faire.
Tous les grands événemens ne tiennent jamais qu'à un cheveu. L'homme habile profite de tout, ne néglige rien de ce qui peut lui donner quelques chances de plus.
L'homme moins habile, quelquefois en en méprisant une seule, fait tout manquer.
J'attends le général Meerweldt. Je tirerai tout le parti dont je suis capable des événemens qui viennent d'arriver en France, des dispositions formidables où se trouve notre armée, et je vous ferai connaître la véritable position des choses, afin que le gouvernement puisse décider et prendre le parti qu'il jugera à propos.
Il ne faut pas que l'on méprise l'Autrichien comme on paraît le faire ; ils ont recruté leurs armées et les ont organisées mieux que jamais.
Je viens de prendre des mesures pour l'incorporation à la république cisalpine, du Brescian et du Mantouan.
Je vais aussi m'occuper à organiser la république de Venise. Je ferai tout arranger de manière que la république, en apparence, ne se mêle de rien.
BONAPARTE.
Au ministre des relations extérieures.
J'attendais, citoyen
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