Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
dirigeait maintenant avec cruauté et fourberie
les services de sécurité de Franco. La Division Bleue, qui a été formée en 1941
et qui doit son nom à la couleur de la chemise des Phalangistes, représentait
le paroxysme de la collaboration des militaires espagnols avec l’Allemagne
nazie. Si la Légion Condor, dans laquelle avaient servi Clauss et Kuhlenthal, était
le cadeau de l’Allemagne à Franco, la Division Bleue était le cadeau de
l’Espagne à Hitler. Aucun autre pays non-belligérant n’avait levé une division
entière pour participer aux combats. Quelques 45 000 Espagnols se
portèrent volontaires pour se battre pour le fascisme et Barrón compta parmi
les premiers. Comme tous les membres de la division, il avait prêté serment à
Hitler. Pendant plus de deux ans, la Division Bleue s’était battue vaillamment
sur le Front de l’Est, dans des conditions effroyables qui allaient faire
quelque 5 000 morts. « Il est difficile d’imaginer des hommes
plus braves », déclara le général SS Sepp Dietrich. Hitler avait été si
impressionné qu’il commanda une médaille spéciale pour les membres de la
division.
L’unité fut officiellement démantelée en 1943. José Barrón
devint chef de la sécurité de Franco. Hillgarth avait ses propres espions au
sein de l’appareil de sécurité d’État, mais la DGS était fortement
pro-allemande. Sous la direction de Barrón, l’unité œuvrait activement pour
réunir des informations pour les Allemands et demandait aux gouverneurs des
provinces de tenir des fichiers sur tous les Juifs d’Espagne. Le colonel Barrón
était un vétéran endurci du fascisme, un germanophile déclaré qui présidait une
police secrète grouillante d’espions et de sympathisants allemands. Une fois
que le colonel Barrón a eu flairé la piste, ce n’était plus qu’une question de
temps avant que les documents ne soient localisés et mis à la disposition des
Allemands.
Karl-Erich Kuhlenthal, ambitieux et paranoïaque, commençait
à perdre espoir. Il se trouvait dans la même position inconfortable que celle
dans laquelle il avait placé Adolf Clauss, sous la pression croissante de ses
supérieurs pour produire des documents qu’il avait promis mais qu’il ne pouvait
pas livrer. Les échelons supérieurs à Berlin, et surtout Wilhelm Canaris, le
directeur de l’Abwehr, avaient eu vent de l’insaisissable attaché-case. Canaris
entretenait des liens étroits avec le gouvernement espagnol. Ces liens
remontaient à la Première Guerre mondiale, quand il travaillait comme agent
secret sous couverture en Espagne, collectant des renseignements sur la marine.
En 1925, Canaris avait établi un réseau de renseignement allemand en Espagne.
Il parlait couramment espagnol et était proche des nationalistes, dont le
général Franco lui-même, et Martínez Campos, son chef des renseignements. C’est
presque certainement Kuhlenthal, le protégé du chef de l’Abwehr, qui informa
Canaris de la chasse vaine, jusque-là, « dans l’espoir qu’il vienne en
Espagne où ils pensaient qu’il pourrait obtenir des copies grâce à sa grande
amitié avec de nombreux hauts gradés, et plus particulièrement le général
Vigón, le ministre de l’Air, et le général Asensio, le ministre de la Guerre.
Juan Vigón, ancien chef de l’état-major suprême, avait
personnellement négocié avec Hitler, au nom de Franco, au début de la guerre.
Carlos Asensio était ardemment pro-Allemand et avait longtemps prôné l’entrée
en guerre de l’Espagne aux côtés du Führer. D’après un rapport des services de
renseignement britanniques, « les Allemands firent des avances » aux
deux hommes, mais, pour finir, l’aide de ces deux puissants généraux et
l’intercession de Canaris se révélèrent superflues.
Neuf jours après leur arrivée en Espagne, les lettres
tombèrent entre les mains des Allemands.
17
Le coup d’éclat de Kuhlenthal
Les services de renseignement britanniques allaient devoir
attendre deux ans pour découvrir le nom de l’homme qui avait donné les
documents aux Allemands. En avril 1945, alors que les nazis battaient en
retraite, un groupe de commandos des services de renseignement de la Navy, une
unité créée par Ian Fleming, s’empara de l’ensemble des archives de l’amirauté
allemande au château de Tambach, près de Cobourg. Fleming se rendit en
Allemagne pour superviser l’unité qu’il surnommait ses « Indiens
rouges »
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