Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
dernière chose que les Anglais voulaient.
À Londres, Johnnie Bevan envoya un rapport d’avancement aux
chefs d’état-major. Il signala qu’il ne disposait jusqu’à présent « que
d’informations parcellaires ». « Les Espagnols avaient trouvé
Mincemeat échoué sur la côte, à Huelva, le 1 er mai… Il
semblerait que certains documents aient été récupérés par les Espagnols et qu’ils
aient été transmis aux autorités espagnoles à Madrid. »
Pour Montagu et Cholmondeley, la lenteur des progrès était
préoccupante et l’incertitude angoissante. Le rapport de l’agent Andros
décrivant les efforts déployés par les Allemands pour obtenir les papiers
n’allait pas parvenir à Londres avant plusieurs semaines. Tout ce dont ils
étaient sûrs, c’était que les effets du major Martin avaient été remis à la
marine, qui était le corps d’armée espagnol le moins pro-Allemand. Hillgarth
avait laissé une piste évidente pour que les Allemands la suivent, mais
l’avaient-ils seulement flairée ? Les cryptanalystes de Bletchley Park
scrutèrent tous les messages qui circulaient entre les postes de l’Abwehr de
Huelva, de Madrid et de Berlin, mais ils ne trouvèrent pas le moindre indice
prouvant que les Allemands avaient connaissance ne serait-ce que de l’existence
des documents », et encore moins de leur contenu. Il semblerait que
Mincemeat allait simplement se frayer un chemin à travers la bureaucratie militaire
espagnole, avant de retourner à son envoyeur, sans passer par l’Allemagne.
Les organisateurs de l’opération réagissaient à la tension
de différentes manières. Cholmondeley partait faire de grandes promenades
autour de St James, grande silhouette dégingandée plongée dans ses pensées. Il
passait des heures dans son garage à Queen’s Gate Mews, bricolant la Bentley
qu’il restaurait. La première réaction de Montagu à la tension était
l’irritation. Le refus entêté dont faisait preuve la réalité pour se conformer à
ses attentes le rendait grognon. Alors que la supercherie était apparemment au
point mort, il se plaignait sans cesse, surtout de petites choses. « Nous
suons tous les onze dans une pièce bien trop petite, remplie d’un air vicié et
du bruit des cinq machines à écrire qui fonctionnent souvent à l’unisson,
épuisés et migraineux à cause de ces conditions de travail. En renonçant à une
grande partie de mes jours de congés, en revenant travailler après dîner, je
parviens à faire l’essentiel de mon travail, même si, le soir, je suis trop
fatigué pour faire quoi que ce soit et je vais me coucher tout de suite après
le dîner. Personne ne connaît, ou ne prend en considération, la pression qui
pèse sur nous. »
Après le départ de Bill Martin, son alter ego, Montagu semblait
s’être replié sur lui-même, coincé derrière son bureau, se demandant si la ruse
complexe qu’il avait mise sur pied allait se transformer en échec abject et
potentiellement calamiteux. La tension le rendait sarcastique. Amèrement, il se
dit que les chefs de l’Abwehr appréciaient davantage son travail que ses
propres chefs, car les Allemands, au moins, envoyaient de l’argent et des
louanges aux agents doubles, réels et fictifs, qu’il contribuait à gérer. Il
écrivit une lettre de démission mi-figue mi-raisin : « Je demande à
ce que l’on veuille bien m’accorder la permission de démissionner de la RNVR
pour avoir toute liberté de m’engager dans la marine allemande. Cette demande
est motivée par le fait que l’amiral Canaris apprécie davantage mes services que
ne semblent le faire leurs Seigneuries. Le susnommé vient de me verser une
prime exceptionnelle et a accepté de m’accorder une augmentation de salaire.
Signé, E. S. Montagu Commandant RNVR raté. » Il n’envoya jamais
la lettre. Montagu savait qu’il paraissait mesquin – « J’ai toujours
été un sale égoïste » –, mais il ne pouvait rien y faire.
Cholmondeley était un homme de conviction, qui se contentait de voir ses
inspirations suivre leur cours, littéralement ici, jusqu’à la destinée que le
sort leur réservait. Mais Montagu était un perfectionniste et un bourreau de
travail : « Je n’ai jamais su faire un travail à moitié, écrivit-il,
même si mes efforts mènent à une impasse. »
Montagu ne pouvait s’ôter de l’esprit les milliers de
soldats alliés qui se rassemblaient sur les côtes d’Afrique du Nord
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