Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
par l’énergique Kuhlenthal, mais ce n’était pas un idiot. Même à la
première lecture, les documents lui parurent quelque peu étranges :
« Ces lettres mentionnaient le nom de l’opération « Husky ».
Cela resta gravé dans ma mémoire, parce qu’il me paraissait dangereux de citer
à la fois le nom de code et les destinations possibles dans un même
document. » Par mesure de prudence, il évita de tirer des conclusions
hâtives à partir d’une seule lettre et, d’après lui, « les considérations
stratégiques n’étaient pas assez précises pour suggérer que la destination
était déjà fixée au Nord de la Méditerranée… Le dernier mot semblait revenir au
général Alexander ». Kuhlenthal, en revanche, avec le mélange d’impatience
et de crédulité qui le caractérisait, ne laissa aucune place au doute. Tout
comme il avait géré le réseau Garbo pendant des années sans en remettre en
cause la véracité, il crut instantanément et aveuglément aux lettres Mincemeat.
Les espions allemands firent vite, sachant que les lettres
devaient être restituées dans l’heure. « Je les ai emportées au sous-sol
de l’ambassade d’Allemagne, raconta Leissner, et je les y ai fait photocopier
par mon photographe. Je regardais même par-dessus son épaule quand il
travaillait pour l’empêcher de lire les documents. » Leissner informa
Dieckhoff, l’ambassadeur d’Allemagne en Espagne, de sa découverte et lui
décrivit le contenu des lettres.
Les originaux furent restitués au lieutenant Pardo, qui les
rapporta aux bureaux de l’état-major, accompagné de Kuhlenthal. L’espion
allemand observa les techniciens espagnols tandis qu’ils réinséraient les
lettres dans les enveloppes, employant l’inverse de la méthode utilisée pour
les extraire. Il est difficile de sortir une lettre humide d’une enveloppe de
cette manière, mais il l’est encore plus de l’y remettre en place sans froisser
le papier, sans laisser de traces révélatrices ni briser les sceaux. L’espion
espagnol chargé de l’opération devait être très adroit car, à l’œil nu,
« il n’y avait aucune trace » révélant que les lettres avaient été
sorties de leurs enveloppes. Ensuite, les lettres furent mises à tremper dans
de l’eau salée pendant vingt-quatre heures, pour les humidifier à nouveau.
Enfin, les enveloppes et les épreuves du livre furent replacées dans
l’attaché-case, qui fut verrouillé, puis rendu au ministère de la Marine, en
même temps que le portefeuille et les effets personnels du major Martin. Toute
l’opération – l’ouverture des lettres, leur transfert aux Allemands, leur
copie, leur remise en place et leur restitution – fut exécutée en moins de
deux jours. Mais, avant même que les documents ne retournent entre les mains
des Espagnols, les copies s’étaient envolées vers Berlin.
Les missives avaient été remises à Leissner, en tant que
dirigeant de l’Abwehr en Espagne, mais c’est Karl-Erich Kuhlenthal qui les
rapporta triomphalement en Allemagne. Les documents copiés étaient bien trop
secrets et importants pour être envoyés par radio ou par télégramme. Comme
Leissner le fit remarquer plus tard, la décision d’envoyer Kuhlenthal en
personne était à la mesure de « l’importance qui leur était
attachée ». Il semblerait que Berlin ait déjà été informé de
l’interception des documents et que l’enfant prodige du poste de Madrid ait été
convoqué pour les emporter en personne. Lui seul devait présenter ce nouveau
coup des services de renseignement au haut commandement et, comme cela venait
de Kuhlenthal, il avait plus de chances d’être crédible. Pour les Anglais,
c’était idéal. La crédibilité d’un renseignement dépend souvent moins de sa
valeur intrinsèque que de la personne qui le découvre et qui le transmet. La
présentation est critique et, du point de vue des Anglais, les documents du
major Martin étaient maintenant entre les mains du coursier idéal. Le
lieutenant Pardo de l’état-major espagnol fut interrogé une nouvelle fois, afin
d’obtenir plus de détails sur la façon dont le corps et ses secrets avaient été
découverts. Ces informations, plus tard portées sur le papier, figuraient dans
un long rapport intitulé « Messager anglais noyé récupéré à Huelva » :
Le 10 mai 1943, une nouvelle conversation avec
l’officier de liaison clarifia les questions suivantes :
1. Le
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