Par ce signe tu vaincras
prenaient langue avec les infidèles afin qu’une alliance impie se noue entre un royaume chrétien et les profanateurs du tombeau du Christ.
Puis j’avais appris avec étonnement que nous allions nous mettre en route pour Marseille en compagnie des sieurs et dames de Mons.
Je n’avais jamais vu le père Verdini dans un tel état d’exaltation. Il m’annonça que le pape Clément VII et le roi François I er allaient se rencontrer. Le pape se rendrait à Marseille avec une flotte de dix-huit galères. Sur l’une d’elles avait pris place sa nièce, Catherine de Médicis, dont le souverain pontife allait célébrer le mariage avec Henri, fils du roi Très Chrétien.
Le père Verdini avait répété que Dieu avait enfin dessillé les yeux du souverain et qu’ainsi la chrétienté serait unie, que c’en serait bientôt fini des huguenots, des « mal-sentants de la foi » ; qu’enfin rassemblés et plus forts que jamais les chrétiens pourraient lutter contre l’infidèle, et le chasser de Jérusalem.
Tout au long de ce voyage dans une campagne qui sentait les fruits mûrs et le raisin pressé, où parfois nous franchissions à gué des rivières gonflées par les pluies de septembre, j’ai chevauché près de la voiture où se tenaient les dames de Mons.
L’une d’elles était une jeune fille que j’imaginais de mon âge, dont les blonds cheveux étaient noués en longues tresses rassemblées en chignon.
Lorsque je l’avais vue, j’avais remercié Dieu d’avoir permis la naissance d’une personne dont la rencontre me donnait la joie et l’émotion les plus fortes que j’eusse jamais éprouvées.
Elle se nommait Mathilde et était la sœur d’Enguerrand de Mons.
À Marseille, lors de l’entrée du pape qui s’avançait, précédé du saint sacrement, au milieu des acclamations de la foule agenouillée, puis le lendemain, lorsque le roi et la reine défilèrent à leur tour dans la ville avec leurs officiers de maison, et ensuite encore, lors de la célébration du mariage, je n’ai regardé que Mathilde de Mons.
Elle était à peine plus jeune que Catherine de Médicis dont j’avais entendu mon père et mon frère dire qu’elle avait dans les quatorze ans.
J’ai donc rêvé de demander à mon père de présenter une demande en mariage aux Mons. Et j’ai imaginé déjà que nous célébrerions notre union, Mathilde et moi, dans la chapelle du Castellaras de la Tour.
Puis le père Verdini, exalté, m’a appris que les familles Mons et Thorenc allaient annoncer le mariage de Guillaume, mon frère, et de Mathilde. Ce fut la première et peut-être la plus grande douleur de ma vie, si inattendue, comme un coup de dague entre mes deux épaules, à la base du cou, quand le sang jaillit à gros bouillons et que le corps n’est plus qu’une gargouille qui se vide.
Seigneur, j’ai souhaité à cet instant que la paix qui s’était établie entre les Mons et les Thorenc soit rompue, et peu importait s’il fallait, pour cela, que le roi François I er choisît à nouveau de s’allier avec les infidèles, que mon père et mon frère reprissent le chemin de leurs ambassades auprès des Turcs !
Oui, Seigneur, ma déception et mon amertume étaient si vives que tout me paraissait préférable au mariage de Guillaume et de Mathilde de Mons.
Et, comme je l’espérais, ils ne se sont jamais unis.
Il a suffi de quelques mois pour que la belle alliance célébrée à Marseille s’effiloche.
C’était Charles Quint qui s’emparait de Tunis et libérait des milliers de chrétiens, devenant ainsi le protecteur de la chrétienté.
C’était François I er qui demandait à mon père et à mon frère de rejoindre Constantinople pour y rencontrer le sultan.
Ils m’abandonnèrent à nouveau au Castellaras de la Tour en compagnie de Salvus et du père Verdini. J’écoutai leur condamnation du roi Très Chrétien et de ceux qui le suivaient.
J’apercevais sur l’autre rive de la Siagne la Grande Forteresse des Mons. Il me semblait que Mathilde devait me voir, peut-être m’attendre.
Mais comment la rejoindre ?
La Siagne, la rivière qui nous séparait, était devenue un abîme, un torrent de sang.
Les armées de Charles Quint la traversaient, venant de Nice, pour aller combattre les trente mille hommes des troupes royales qui les attendaient dans un camp fortifié de la plaine du Comtat.
Ainsi ai-je découvert pour la première fois la guerre. Les paysans s’installaient
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