Par ce signe tu vaincras
pas, un jour, alors que nous aurons depuis longtemps comparu devant le tribunal de Dieu, les descendants de ces émirs voudront la reprendre. Et ils trouveront des alliés ! Ce mariage entre notre roi Philippe et la reine d’Angleterre est un moyen d’étrangler le roi de France et de le contraindre à combattre avec nous. C’est aussi le moyen de réduire les hérétiques anglais. Quand Philippe II sera roi d’Angleterre, alors nous allumerons les bûchers !
Il se penchait vers moi, m’interrogeait : avais-je vu le comte Rodrigo de Cabezón ? m’avait-il parlé de ces espions français, des huguenots qui, en Angleterre, cherchaient à soulever la population et conspiraient contre la reine ?
— Je veux, me disait-il, que tu tranches la tête de ces serpents ! Quels qu’ils soient ! Es-tu prêt pour cette tâche ? Tu ne seras pas seul pour l’accomplir…
Il s’éloignait sans me fournir plus de précisions et ce n’est qu’à bord du navire, après que nous eûmes mis à la voile, que j’ai reconnu, se tenant à la poupe, non loin de Sarmiento et de Philippe II, Enguerrand de Mons et le père Verdini.
J’ai essayé de me détourner et de les fuir.
Je ne voulais pas retrouver les visages de mon passé ni connaître le rôle qui m’était échu.
Mais un navire est une prison et, dès le premier jour de notre traversée, les gardes de Sarmiento m’ont conduit vers l’une des trois cabines situées sous le château arrière.
Le père Verdini et Enguerrand de Mons y étaient assis, de part et d’autre de Sarmiento, sur des coffres aux larges ferrures noires. Comme s’il avait craint que nous n’échangions des souvenirs, mon protecteur a dit aussitôt, d’une voix de commandement :
— Vous savez ce que Dieu et le roi attendent de vous !
Puis il nous a laissés.
Nous nous sommes entre-regardés.
Tant de temps entre nous, comme un fleuve trop large.
Le père Verdini n’était plus qu’un homme au corps rabougri mais aux gestes nerveux, dont la voix saccadée était toujours aussi aiguë.
Il s’est levé et avancé vers moi.
— Mon fils, a-t-il dit en se signant, puis en cherchant à m’embrasser.
Je me suis dérobé et il est resté les bras ouverts, désemparé, avant de se tourner vers Enguerrand de Mons.
Au moment où, malgré moi, à l’instar d’un sanglot qui envahit la poitrine, j’allais rappeler le souvenir de Mathilde de Mons, son frère a murmuré :
— Elle est morte.
Puis, en se redressant et en me fixant, il a ajouté d’une voix plus forte :
— Elle est comme morte pour moi.
Elle vivait donc et j’en ai été à la fois apaisé et heureux.
Je Vous ai remercié, Seigneur, de ne pas l’avoir châtiée, de lui donner encore le temps de vivre et d’obtenir peut-être Votre pardon.
— La faute est mienne, a dit le père Verdini en se martelant la poitrine de son poing fermé.
Il avait laissé s’accomplir la trahison de ceux dont il avait charge d’âme, expliqua-t-il. Et ces malfaisants avaient compromis les desseins de l’empereur et du roi.
Les Thorenc s’étaient dressés contre la sainte Église et s’obstinaient dans l’erreur et la trahison. Les prêtres et les moines anglais appelaient à l’aide contre ces malfaisants, ces « mal-sentants de la foi ».
— Il faut les empêcher de nuire encore, et c’est à nous qui les avons connus, qu’ils ont blessés au cœur de l’affection que nous leur portions, c’est à nous de les terrasser. Ils sont les fils du démon !
Il a parlé longtemps et j’ai compris que je serais l’appât qu’on leur tendrait.
Il me faudrait aller dans les rues de Londres, les poches remplies de ducats. Je rendrais visite à ceux dont on savait qu’ils étaient hostiles à ce qu’ils appelaient le « mariage espagnol ». Je dirais que je me repentais, que Dieu m’avait éclairé. Que je voulais retrouver mon père, mon frère et ma sœur afin de les aider. La lecture des Saintes Écritures m’avait ouvert les yeux. J’avais découvert que la cour d’Espagne était un lieu de corruption. Je voulais combattre les papistes, révéler que des troupes espagnoles – plus de dix mille hommes – s’apprêtaient à débarquer en Angleterre. Qu’une quinzaine de navires chargés de soldats avaient déjà quitté les Pays-Bas. Il me fallait retrouver mon père afin qu’il renseigne ses amis anglais sur les tortueuses intentions de Charles Quint et de Philippe. Qu’on me conduise
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