Par ce signe tu vaincras
donc à mon père, le comte Louis de Thorenc, et à ses enfants, Guillaume et Isabelle, dont je savais qu’ils étaient arrivés clandestinement à Londres.
— Ils voudront te rencontrer, a poursuivi le père Verdini. Nous les attendrons avec toi.
Il a regardé Enguerrand de Mons qui serait le bourreau. Lui, le prêtre, prierait pour les condamnés.
— Et moi, je suis Judas ? ai-je murmuré.
Le père Verdini s’est récrié. Lutter contre les malfaisants, c’était servir Dieu et non Le trahir. Eux, qui avaient conclu alliance avec les infidèles avant de devenir des hérétiques, étaient les seuls félons et devaient être châtiés.
Verdini s’est approché de moi : est-ce que j’avais oublié le bagne d’Alger ? les supplices infligés par Dragut-le-Cruel ? la mort des uns, la corruption des autres, l’humiliation de tous ? Voilà ce que les hérétiques et les traîtres avaient permis !
J’ai baissé la tête, pensé à Mathilde de Mons et à Michele Spriano.
Mais Dieu n’a pas voulu que je sois Judas.
J’ai fait mine, pourtant, d’accomplir ma mission.
Quand nous eûmes débarqué à Southampton, après cinq jours de traversée, j’ai chevauché par les ruelles de Londres.
On n’y aimait point les Espagnols, les papistes. Or, pour la foule, j’étais l’un d’eux. On m’insultait, on crachait dans ma direction. On tentait d’irriter mon cheval. Parfois, on me lançait des détritus au visage.
Le jour même où l’on célébrait les noces du roi Philippe et de la reine Marie Tudor dans la cathédrale de Winchester, on a tenté de me renverser. Des enfants s’étaient accrochés à mes bottes comme des rats. Et j’ai dû éperonner mon cheval, rejoindre un groupe de nobles espagnols qui regagnaient leurs hôtels.
Mais nous avons tous subi le même sort.
Ce peuple haïssait les étrangers au teint mat, élégants et fiers, qui paradaient dans leurs vêtements de velours noir et de satin blanc.
Les Espagnols avaient hâte de quitter cette ville, ce pays où la pluie ne cessait jamais, les contraignant à changer de vêtements plusieurs fois par jour, leurs chapeaux et leurs pourpoints imbibés d’une eau glacée qui ruisselait sur les pavés, et devenait, mêlée aux ordures et aux excréments, une boue noirâtre et glissante.
C’est dans cette boue qu’on m’a traîné.
Un matin, peu après que j’eus quitté l’hôtel, alors que la pluie tombait encore plus dru, les gouttes glissant dans mon cou, le feutre de mon chapeau collant à mon front et à mes joues, quelques hommes – et non plus cette fois des enfants ! – se sont précipités sur moi comme je passais sous un porche.
Il faisait si sombre que je n’ai pu distinguer leurs visages. Mais j’ai senti leurs mains m’agripper, leurs poings s’écraser sur mes lèvres pour m’interdire de crier. J’ai entendu leurs insultes : « Papiste ! Espagnol ! Inquisiteur ! » Deux d’entre eux se sont enfuis avec mon cheval et les autres, m’empoignant les jambes, m’ont tiré, ma tête heurtant les pavés, dans une sorte de corridor boueux entre deux maisons.
J’étais à demi assommé. Je ne savais plus où j’étais. Parfois, avec effroi, j’avais l’impression que l’on me traînait derechef sur les pavés des rues de Toulon et que cette foule dont j’entendais la rumeur était celle des infidèles.
On m’a bâillonné, bandé les yeux, ligoté, porté, jeté à même le sol. C’était un parquet. J’entendais crépiter un feu. On m’a débarrassé de mes liens et de mon bandeau.
Je suis resté quelques instants ébloui par les candélabres dont les flammes illuminaient la pièce. Ainsi elle m’est apparue dorée. Puis j’ai reconnu, assis côte à côte, mon père et mon frère. Et, debout près de moi, ma sœur qui me tendait la main pour m’aider à me relever.
Je me suis redressé seul, un peu chancelant, joyeux au fond de moi. C’étaient eux qui m’avaient pris et non moi qui les avait livrés.
Je préférais être cloué sur la croix plutôt que juge ordonnant le supplice.
— Te voici à Londres avec ces Espagnols ! a dit mon père.
Il s’est levé. Il m’a semblé aussi grand, aussi vigoureux, aussi menaçant qu’autrefois.
— Par Dieu, tu es toujours avec les ennemis de ton roi ! Et tu te mets au service d’un fornicateur, d’un incestueux qui épouse une vieille reine qui n’a ni cheveux ni sourcils et dont le nez mange toute la figure ! Elle pourrait
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