Paris, 1199
Meulan pourrait lui en dire plus
sur ce souterrain, or il était à Vincennes avec le roi.
Philippe Hamelin partit pour Vincennes le
lendemain. C’était le mardi 18 mai.
C’est le père de Philippe Auguste qui avait fait
construire le premier manoir dans la forêt de Vincennes près d’un monastère de
l’ordre de Grandmont et de l’église Notre-Dame de Vie Saine. L’endroit était
pratique, à proximité de la voie romaine de Paris à Sens, de la Marne et de la
Seine. L’est de Paris était autrement plus sûr que l’ouest, proche de la
Normandie et des terres anglaises, et la présence des fleuves et du pont de
Charenton facilitaient les déplacements d’un roi sans cesse sur les chemins.
À l’origine, le manoir n’était qu’une grande salle
basse avec une cave, sans enceinte ni fortification. Philippe Auguste se
l’était approprié, car il aimait chasser et la forêt était giboyeuse, peuplée
de daims et de biches offerts par le père de Richard Cœur de Lion.
Comme le roi y venait avec une nombreuse cour, le
manoir avait été complété de constructions disparates sommairement disposées
autour d’une cour. C’étaient des logis pour ses familiers et ses hommes
d’armes, des écuries avec un maréchal-ferrant, des celliers, des granges, des
fours, des cuisines, une paneterie, une fruiterie et bien sûr une chapelle. S’y
ajoutaient, depuis peu, de grands chenils et une fauconnerie.
Philippe Auguste avait aussi fait construire un
mur de pierre pour clôturer la forêt afin d’éviter le défrichement et le
braconnage. Dans cet immense enclos, il avait fait lâcher des daims et des
biches. Lui seul pouvait les chasser, et les innombrables pendus accrochés aux
chênes témoignaient de sa sévérité envers les braconniers.
Quand Philippe Hamelin arriva, Philippe Auguste
était encore à la chasse avec Robert de Meulan et Simon de Montfort, ses deux
plus proches baillis. Le prévôt les attendit jusqu’au milieu de l’après-midi,
circulant entre les granges et les celliers autour de la grande salle du
manoir, discutant avec les chapelains, les valets des cuisines qui préparaient
le gibier, et les hommes d’armes qui jouaient aux dés.
C’est quelques heures avant le coucher du soleil
qu’il entendit le bruit lointain d’une meute de chiens, puis le son des cors.
Soudain, une trentaine de cavaliers déferlèrent dans la cour. Les dogues,
difficilement retenus par des serviteurs, tentaient de s’approcher du
gibier : deux sangliers et un jeune daim suspendus par les pattes à de longues
perches portées par des valets.
Le roi de France chevauchait à côté de son jeune
fils. Sitôt qu’il vit le prévôt, il lui fit un signe amical et, s’arrêtant
devant le manoir, sauta prestement au sol, donna son épieu ensanglanté à un
valet et s’avança vers lui, souriant.
Philippe Auguste avait un visage carré, rouge et
sanguin, avec de longues moustaches [56] .
Malgré un œil à demi fermé, celui qu’il avait perdu après avoir eu la suette,
il gardait une mine fière et bienveillante. La quarantaine approchant, il était
encore bien découplé et se tenait droit. En cotte d’arme bleue avec une croix
rouge et des fleurs de lys à chaque angle, il portait des braies et des
souliers de cuir lacés. Un large couteau de chasse pendait à son baudrier et
ses cheveux longs, parsemés de fils gris, étaient serrés dans une couronne de
fer et d’or.
— Philippe Hamelin ! Loué soit
Jésus-Christ d’avoir conduit mon prévôt jusqu’ici ! s’exclama-t-il.
— À jamais, seigneur, et que Dieu vous garde
éternellement dans son cœur.
— As-tu vu Cadoc ? demanda le roi,
s’approchant du bassin construit au milieu de la cour pour s’asperger d’eau
fraîche tant il transpirait.
Il prit ensuite le verre de vin blanc frais que
lui tendait un serviteur et l’avala d’un trait. Le vin venait des vignes de
Vincennes.
— Je l’ai vu, seigneur, répondit Hamelin,
prenant à son tour un gobelet, ainsi que frère Guérin. Je suis venu vous en
parler, car j’ai découvert des faits nouveaux.
— Allons à l’intérieur, décida le roi,
brusquement rembruni.
— Le comte de Meulan pourrait-il nous
rejoindre, sire ?
Philippe le considéra un instant d’un regard
pénétrant, puis il appela le comte.
— Robert, viens avec moi.
Robert de Meulan abandonna la discussion qu’il
avait avec Simon de Montfort sur la meute de loups dont ils avaient vu les
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