Paris, 1199
qui l’empêchaient de marcher. Il raconta comment l’homme de Mercadier
l’avait attaqué et garrotté, mais, n’ayant pas été fouillé, il était parvenu à
sortir son couteau de son sayon et à trancher ses liens. Ensuite, en boitant,
soutenu uniquement par la peur de ce qu’il subirait s’il était rattrapé, il
était rentré jusque chez lui.
Sa grand-tante l’avait caché et avait fait venir
un rebouteux qui avait remis son épaule en place, mais il avait un os brisé et
l’hématome avait tellement gonflé qu’il était paralysé. L’homme lui avait
pourtant assuré qu’il pourrait remarcher dans quelques jours.
Amaury promit qu’il irait chez Bertaut dès qu’il
le pourrait. Il connaissait plusieurs garces de la rue Putigneux qui
accepteraient certainement de céder leur galetas contre quelques piécettes de
cuivre.
Pendant ce temps, Guilhem s’était rendu chez le
curé de Saint-Gervais pour lui proposer de jouer des mystères sur le parvis, à
la sortie de la messe. Le prêtre l’écouta favorablement, car le clergé
encourageait les spectacles qui enseignaient le christianisme, et quand Guilhem
lui assura que sa troupe pouvait jouer en musique le Miracle de sainte
Catherine et l’Histoire de Noé, deux mystères qu’on n’avait montrés
qu’à Notre-Dame, le religieux lui donna son accord et promit d’annoncer
lui-même le spectacle à chacune des messes de la matinée.
Le mardi, leur représentation ne dura guère et eut
peu de spectateurs à cause de la pluie. Le Miracle de sainte Catherine, chanté et joué dans un mélange de latin et de langue d’oïl, fut surtout
applaudi par les enfants. Le lendemain, l’ Histoire de Noé attira plus de
monde, car beaucoup de femmes attendaient la scène où l’épouse de Noé refusait
d’entrer dans l’arche et souffletait son mari. De nombreux hommes aussi étaient
là, car on disait qu’au Mans les jongleurs qui avaient représenté ce mystère
avaient joué nus et ils espéraient voir la jongleresse dans sa natureté, mais
ils furent déçus.
Après la représentation, le soleil étant revenu,
ils jouèrent de la vielle et du psaltérion pendant que Bartolomeo faisait des
cabrioles.
C’est le jeudi que plusieurs Templiers vinrent
assister au spectacle. En dehors des fêtes de Noël, il y avait si peu de
jongleurs de rue dans l’industrieux Monceau-Saint-Gervais que la rumeur de la
présence de troubadours s’était vite répandue.
Ils étaient quatre. Deux sergents, un chevalier et
un commandeur du Temple. En faisant la quête, Guilhem lui demanda s’ils
pourraient les aider pour être reçus à la Villeneuve.
— Peut-être, répondit évasivement le
commandeur. Où loge votre ménestrandie ?
— À la Corne de Fer, seigneur.
Le commandeur resta impassible et proposa
seulement :
— Pour commencer, pourquoi ne pas venir au
manoir du Temple pour que notre grand maître soit juge de votre talent ?
— Ce serait un honneur, seigneur, répondit
Guilhem en s’inclinant servilement.
— Qui est la jongleresse ? demanda-t-il,
en désignant du menton l’épouse de Robert de Locksley.
— Anna Maria, la sœur de Bartolomeo, le plus
grand jongleur de Rome, seigneur.
— Passez cet après-midi pour rencontrer le
chambellan du grand maître. Pourriez-vous venir jouer samedi durant le
dîner ?
— Oui, seigneur.
— Je préviendrai le chambellan. Je suis le
commandeur Albert de Malvoisin.
Le Templier rentra plus que satisfait. Quand il
avait appris que des jongleurs jouaient devant Saint-Gervais, il s’y était
rendu avec quelques frères, se demandant si ces ménestrels n’étaient pas ceux
qui avaient été arrêtés par l’official.
Il les avait observés jouer. Ce n’étaient pas des
imposteurs, car il avait même été ému par leur représentation de la vie de
sainte Catherine, mais quand leur chef lui avait dit qu’ils logeaient à la
Corne de Fer, il avait compris que c’étaient bien ceux qui s’étaient renseignés
sur le comte de Huntington. Il avait donc décidé de les inviter au Temple pour
que Lucas de Beaumanoir puisse les interroger.
Il fallait tirer au clair les raisons pour
lesquelles ils recherchaient Locksley. Le grand maître parviendrait bien à les
faire parler, et s’il s’avérait qu’ils n’étaient que de simples jongleurs, ils
resteraient libres, sinon, sous un prétexte futile, ils seraient enfermés dans
le cachot du manoir où on les laisserait mourir de
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