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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Alizon, les lèvres serrées. Je suis seule. La peste a tout raclé.
    — Ha !
Alizon ! dis-je en m’asseyant sur le lit face à son escabelle et en lui
prenant la main. Quel prédicament est le tien ! T’entends-je bien ?
Le salaire de Recroche ne suffit point à ton pain quotidien et à payer la
nourrice : raison pour quoi tu viens céans.
    — Et
quelle autre ? cria Alizon en m’arrachant sa main derechef et en
m’envisageant tout soudain, sourcillante et rancuneuse, son œil tout flambant
de son ire. Cuidez-vous peut-être que j’aime les hommes ? Vous êtes-vous
apensé que je souffre d’un cœur allègre ces pourceaux qui ont des pécunes assez
pour m’acheter une de mes nuits et me font labourer dans leur lit comme chienne
lubrique alors que je n’ai, moi, qu’appétit à dormir ?
    J’envisageai
Alizon sans piper, toute rebéquée et redressée, son petit œil noir brillant,
son cou menu, sa guêpeuse taille, petite mouche d’enfer se débattant
vaillamment dans les toiles de la male fortune, et fort piquante aussi, car
elle était de gueule bien fendue, jouant vite et bien du plat de la langue, le
parler parisien pointu et précipiteux, les mots partant comme coups de griffe.
Sanguienne ! Ces pourceaux dont jetais me restaient sur le cœur ! Et
me levant, j’allais à mon escarcelle, et y prenant pécunes, je revins à elle et
lui dis sans aigreur, mais l’œil quelque peu froidureux :
    — Alizon,
je suis un homme, non un pourceau, prends ces trois sols et va-t’en dormir chez
toi tout ton saoul.
    Mais à ces
paroles son ire redoubla, et se levant de son escabelle, pâle en sa furie, les
narines pincées, plus crachante que chat sur braise, elle cria :
    — Qu’ois-je ?
Vous me feriez la charité ! Suis-je mendiante aux porches de
l’église ? Vous ai-je aumône quémandée ? Suis-je tombée si bas ?
Monsieur, dit-elle, en m’ouvrant la main et en y prenant les trois sols,
qu’incontinent elle fourra en une poche de son cotillon, rien ne vous donne et
rien non plus n’accepte de vous ! Tant payé, tant tenu ! Mon corps
est à vous pour la nuit !
    Et
incontinent, sans jaser plus outre, ni m’envisager, l’œil à terre et les lèvres
serrées, elle se dévêtit tout à plein. J’osais à peine la regarder tant en ma
vergogne je me sentais à moi-même odieux, jouant un rollet qui me repoussait
fort, et ne sachant pourtant que faire pour m’en tirer.
    Dieu
bon ! Que faire, en effet, en ce prédicament ? La rhabiller de force
forcée ? Quérir l’estuvière ? Mais qu’y pourrait entendre cette
grosse ribaude sinon qu’Alizon avait failli à accommoder le chaland, ce qui
l’eût fait chasser peut-être ? Ne sachant quoi résoudre, je tournai le dos
à ma pauvre petite guêpe et tirai jusqu’au fenestrou aspé de fer qui donnait à
ras le jardin. Il n’était pas clos et par là venait un petit air frais en cet
août étouffant, lequel je respirai avec avidité, le pensement en grande
confusion, mais inclinant à la tristesse et au déprisement de soi.
    Je me
retournai enfin et j’envisageai Alizon nue en sa natureté, et non sans honte,
puisque ce droit, je l’avais acheté pour trois sols. Elle était tant mince que
je l’avais imaginée, mais en même temps plus ronde que je ne l’eusse cru, et
fort frémissante encore de son courroux, l’œil à terre, la lèvre de ses propres
dents mordue, toutefois, vive et frisquette à me donner de l’appétit si le
cœur – le sien – avait été de la partie. Mais sans dire mot ni
miette, sans m’envisager davantage que si j’avais été table ou escabelle,
Alizon s’étendit sur la couche, l’œil clos, roide et froide à vous geler.
Sanguienne ! Que j’étais las tout soudain, et de cette longue journée et
de ma traverse avec Alizon !
    Ainsi dans la
maussaderie et la mauvaise conscience, j’allai m’étendre auprès d’elle sans
piper et sans la toucher, fût-ce du bout des doigts. N’est-ce pas inique, pour
peu qu’on y réfléchisse un petit, d’acheter un corps au rebours de la volonté
d’une âme ? Et pourtant, avec quelle légèreté j’en eusse pris mon parti,
si l’honnête garce dont l’estuvière m’avait hameçonné n’avait pas été
Alizon ! Je vis bien que la pauvrette m’avait en sa fierté navrée, pris
tant à rebrousse-poil qu’elle allait demeurer plus morte que souche à mon
flanc, l’œil clos et la bouche cousue, tant est que, ne voulant rien faire, et
ne

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