Paris Ma Bonne Ville
Quel profond sommeil elle dormait en sa brune et
suave nudité, tout abandonnée contre mon flanc, les épines et les pointures de
sa tant dure vie oubliées pour la durée de la miséricordieuse nuit, mais non
point la grande amour qu’elle portait à son petit Henriot, si j’en cuidais le
demi-souris qui, d’avoir tant parlé de lui, demeurait dans le pli de sa tendre
lèvre.
Sur ce dernier
pensement, étant moi-même fort las de ce long jour, où j’avais tant vu et vécu,
je me sentis glisser dans le sommeil comme dans l’eau chaude d’un bain, quelque
peu me gaussant de moi-même, mais sans aigreur, et fort étonné d’être tant
content, pour une fois, d’être chaste, et d’avoir payé six sols pour le
demeurer.
CHAPITRE VI
Ha !
L’étrange réveil que j’eus le lendemain en la chambrette où je m’étais la
veille au soir si continemment endormi aux côtés d’Alizon.
D’Alizon,
justement, point la plus petite trace ne vis-je, tandis que je battais du cil,
attentant d’éclaircir mon regard embrumé ; et de sa vêture, pas la moindre
non plus, ma gentille mouche d’enfer, à l’aube, ayant dû s’envoler pour gagner
l’atelier de Maître Recroche et y labourer tout le jour. Cependant, je n’étais
point seul et mon œil enfin clair, je vis dans cette même pièce où j’étais, me
tournant le dos, et regardant par le fenestrou en ras de jardin, un quidam vêtu
de noir, à qui sa minceur et sa haute taille donnaient une fort élégante
tournure, et qui se tenait là, gracieusement déhanché, la main senestre posée
sur sa taille, et debout sur un pied comme un héron. N’en croyant pas mes yeux,
et de mes doigts me testonnant le cheveu, je me dressai sur mon séant et
j’allais interpeller le gautier et quérir de lui, sourcillant, ce qu’il faisait
céans, quand, au mouvement que je fis, il se retourna ; et béant, je
reconnus Fogacer.
— Sanguienne,
Fogacer ! criai-je, me levant et courant, nu que j’étais, lui donner une
forte brassée. C’est magie ! Comment diantre me trouvâtes-vous ?
Il fut quelque
temps avant que de me répondre, me rendant mes baisers avec tant d’embarras (se
ramentevant sans doute ses folies en le carnaval de Montpellier) que je ne
laissai pas que d’en être en mon for diverti, et le lâchant enfin (pour ce que
je le serrais très fort, ayant tant de liesse à le revoir) je commençai
incontinent à me vêtir.
— Eh
bien, dit Fogacer, reprenant souffle, et se remettant par degrés de mes
assauts, je connais un fort joli clerc, en Notre-Dame de Paris, lequel a plus à
se glorifier dans la chair que n’importe quel ange du ciel...
Quoi disant,
il sourit sinueusement et arqua son sourcil diabolique sur son œil noisette.
— Sauf,
dis-je, que les anges, eux, n’ont pas de sexe. Mais poursuivez, Fogacer, cet
ange ne vole-t-il pas contre pécunes jusques en haut des tours de Notre-Dame
pour montrer Paris aux curieux ?
— Celui-là
même, Siorac. Aymotin, pour le nommer, m’a dit le quoi, le qu’est-ce et le
logis.
— Et du
logis, qui vous a conduit céans ?
— Miroul.
Il vous a suivi hier en tapinois pour pourvoir à votre sûreté, le soir tombant
déjà, et apprenant de l’estuvière que vous passiez la nuit, rassuré, il s’est
allé coucher. Je l’ai vu ce matin chez Recroche.
— C’est
lui, l’ange, dis-je tout ému des soins que mon gentil valet avait pris de ma
vie.
— Mais,
cet ange-là vous garde mal en votre faible chair, dit Fogacer, écartant ses
bras arachnéens (et l’air de se gausser, et de lui-même, et de moi), car si
j’en cuide ce qu’on m’a dit, vous ne dormîtes pas seul. Ha ! Siorac !
Ès étuves ! Est-ce prudent ? Ignorez-vous que la maladie de Naples et
les garces d’étuves ont entre elles une naturelle affinité ?
— Fogacer,
dis-je en souriant d’un seul côté de la face, le ciel m’est témoin que je sors
de ces étuves tant sain que j’y suis entré.
— Le ciel
vous entende ! dit Fogacer qui ne croyait ni à Dieu ni à Diable comme
peut-être le lecteur se ramentoit.
On toqua et la
blondelette Babette entra.
— Mon
gentilhomme, dit-elle, la laitière vient que de passer. Quérez-vous, et votre
ami aussi, une bolée de lait, du bon pain blanc de Paris et du beurre frais de
nos villages ?
— Sanguienne,
Babette ! dis-je, plus un mot. La salive m’en coule en bouche. Fogacer,
une bolée de lait ?
— De
grand cœur, mais bouillu, dit
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