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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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par bonne heure point tant
luneuse et claire que la précédente, nous résolûmes de saillir du gîte comme
hiboux et de mettre nos vies au hasard à franchir les ponts.
    On prit par la
rue de la Grande Joaillerie jusqu’au pont aux Changes, mais là, ne voulant à quatre
avancer trop à découvert, je dépêchai mon Miroul en éclaireur pour reconnaître
comment le pont était gardé. Ce qu’il fit si bien, se dérobant dans l’ombre des
encorbellements et cheminant sans noise aucune, que je le perdis de vue au bout
de quelques toises, et fus tout surpris de le voir resurgir à mon côté me
disant à voix étouffée que le guet bourgeois, lequel était censé garder les
chaînes à l’entrée du pont, s’était détourné en aval pour crocheter à terre
ceux des corps qui n’étaient point dévêtus et se partager leurs dépouilles.
    On passa donc
sans coup férir le pont aux Changes et sans encontrer personne qu’un quidam en
guenilles, malodorant, malingre, estéquit et tout tordu sur soi, lequel rôdait
dans les décombres des maisons éventrées, un grand sac sur le dos, et à notre
vue le lâchant, nous demanda à genoux grâce de sa vie, pour ce qu’il n’était,
dit-il, que picorant là une pillerie chétive et de néant, tout le bon ayant été
raflé par de plus gros que lui, de prime par les manants de l’Écorcherie et
ensuite par le guet.
    — Compagnon,
dis-je à ce pauvre maraud qui était tant exténué de misère qu’il me donnait
quelque pitié, nous n’en voulons ni à ton sac ni à ta vie. Mais d’où vient
qu’il y ait tant de logis éventrés sur le pont aux Changes ? Je n’ai pas
ouï dire qu’on eût là des hérétiques.
    — Ha !
dit le guillaume, hérétiques, vramy ! pas un ne l’était, mais orfèvres, et
tous fort bien garnis, raison pour laquelle on les a baptisés carpes, occis,
défenestrés en Seine, et mis à la pillerie.
    — Mais le
guet ?
    — Le
guet, dit le guillaume avec un petit rire, n’est point tant chaud pour se
battre pour l’ordre garder, ayant lui-même grand appétit à la picorée.
    Je me remis à
mon chemin, Miroul me tirant par le coude, ayant crainte à me voir tant
délayer, comme j’y ai souvent tentation, même en tel périlleux prédicament,
étant de ma complexion tant curieux de l’homme.
    Au bout du
pont aux Changes, la plus droite route, pour atteindre le pont Saint-Michel,
passe par la rue de la Barillerie, et nous allions nous y engager quand nous
vîmes de loin devant le Palais des torches et falots trouer la nuit et
l’oreille tendant, nous ouïmes des cliquetis de pertuisanes entretoquées, ce
qui nous mit puce au poitrail que le guet ou les archers du Roi étaient là en
grand nombre. Et plutôt que d’aller donner tout droit dans leurs piques, nous
tirâmes donc à senestre dans la rue de la Vieille Pelleterie, laquelle est tant
noire, puante et fangeuse que pas une dans la Cité, et de là dans un dédale de
ruelles et venelles où il fallut souvent chemin rebrousser nous heurtant à une
impasse, la nuit étant si noire qu’on n’eût pas reconnu un chat blanc, la
marche difficultueuse dans les immondices et le bren, et de temps à autre le
pied donnant contre un cadavre laissé là depuis l’avant-nuit, les massacreurs
n’ayant pas consenti à se donner peine pour le traîner jusqu’en Seine.
    On perdit un
temps infini à se démêler de ce labyrinthe où nous ne faisions que nous crotter
en tournoyant comme rats en cage, et quand enfin on en émergea, nous étions si
recrus, et de fatigue, et de faim, et de soif, et quelque désespérance aussi
nous poignant, qu’on se laissa tomber sur un banc de pierre qui était là devant
un logis de chétive apparence, et y demeurâmes assis, sans piper, hagards et
reprenant souffle.
    On n’oyait pas
tant d’escopetterie que l’avant-nuit, les massacreurs ayant occis à la surprise
le plus gros des nôtres, le reste (comme nous, je gage) étant à la fuite ou
cachés, mais cette rue où nous étions (que je sus plus tard s’appeler rue de la
Licorne) paraissait morte, tous logis clos et remparés, tant est qu’au bout de
quelques minutes que nous étions là, nous fûmes surpris d’y voir un falot à
nous venir, lequel nous parut fort lumineux dans les ténèbres de l’alentour,
sans nous alarmer cependant et sans nous mettre l’arme à la main pour ce qu’on
n’oyait pas résonner plus d’un pas sur le pavé, cette rue n’étant pas fangeuse.
Cependant, ce

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