Paris Ma Bonne Ville
vous laisser
quitter la place. De reste, vous êtes des nôtres puisque sans vous, mon huis
étant forcé, mon logis serait pour lors tout à plein détruit. Bien au rebours,
mon ami, au lieu que de nous quitter, appelez céans vos compagnons et la fidèle
Florine afin que nous ayons ce bien – le dernier qui nous reste – de
prier encore tous ensemble.
Ce que je fis,
et mes compagnons que je présentai à M. de la Place (et à chacun de qui il dit
son mot) rangés contre les boiseries de chêne, Florine à côté de Miroul et à ce
que je cuide en sa déréliction, cherchant en lui quelque appui – M. de la
Place s’assit dans sa chaire à accoudoirs et nous lut de sa voix grave et
vibrante le premier chapitre du livre de Job. Et que le lecteur me pardonne,
mais combien que le présent récit soit frivole et profane, et parfois à ce
qu’on m’a dit, scandalise les cœurs innocents (tant les mœurs que j’y dépeins
paraissent effrénées) je désire y inclure ce passage fort émeuvant des Saintes
Écritures pour ce qu’aucun de nous, dans le terrible prédicament où nous nous
encontrions, assiégés dans ce logis par une hurlante populace et livrés par le
Prince à sa haine, ne pûmes l’ouïr sans sur nous-mêmes faire retour et verser
des larmes :
« Il
advint un jour que les fils et les filles de Job étaient en train de manger et
boire du vin dans la maison de leur frère aîné. Et un messager vint vers Job et
lui dit : " Les bœufs étaient en train de labourer et les ânesses
paissaient à leurs côtés ; lors firent irruption les Sabéens, ils les
prirent et passèrent les serviteurs au fil de l’épée... "
« Comme
il parlait encore, un autre arriva et dit : " Le feu du
tout-puissant est tombé des cieux. Il a brûlé les brebis et les serviteurs et
il les a dévorés... "
« Comme
il achevait, un autre arriva et dit : " Les Chaldéens se sont
jetés sur les chameaux, et les ont pris et ont tué les
serviteurs... "
« Comme
il parlait encore, un autre survint et dit : " Tes fils et tes
filles étaient en train de manger et boire du vin dans la maison de leur frère
aîné. Et voici qu’un grand vent arriva du côté du désert et frappa les quatre
coins de la maison : elle tomba sur tes enfants et ils
moururent... "
« Alors
Job se leva et déchira son manteau. Puis il se rasa la tête, s’affaissa à
terre, se prosterna et il dit : " Nu je suis sorti du ventre de
ma mère et nu j’y retournerai. Le Seigneur a donné et le Seigneur a repris. Que
le nom du Seigneur soit béni. " »
Fermant alors
la Sainte Bible, M. de la Place nous remontra, la voix tranquille et le visage
composé, que les afflictions sont nécessaires aux chrétiens pour ce qu’elles
exercent leur vertu et qu’il n’est en la puissance du Démon de nous faire
souffrir qu’autant que Dieu le veuille permettre. « Mes enfants,
conclut-il, recommandez-moi au Seigneur par vos oraisons comme aussi je vous
recommande à lui. Si, comme je le crains, un grand vent va s’abattre sur ma
maison et en disperser les membres, priez, je vous prie, priez pour que nous
soyons à nouveau conjoints en la vie éternelle, notre espérance étant en Dieu
et en Dieu seul ! »
L’homélie de
M. de la Place fut plus longue que je ne le dis ici et peux-je ajouter qu’à la
parfin, quelque impatience se mêla à mon émeuvement, opinant, comme je le fais,
que le Seigneur ne veut point que sa créature dans la tempête s’abandonne, mais
bien à rebours, lutte bec et ongles pour retenir la vie, puisqu’elle lui fut
baillée par Lui. Déjà, en oyant M. de Coligny en les ultimes heures de sa vie,
il m’était apparu que peut-être il appétait trop au martyre, et qu’il inclinait
davantage au subir qu’à l’agir. Ce n’est pas là ma complexion, laquelle
approche davantage celle d’un autre huguenot des plus notoires, M. de
Briquemaut, lequel, ayant passé soixante-dix ans, pourchassé par les
massacreurs, se dévêtit, se mêla ès rues aux cadavres et à la nuit s’échappant,
se déguisa et se cacha comme palefrenier chez l’ambassadeur d’Angleterre. La
mal’heure voulut qu’il fût pris à la fin des fins et pendu, mais du moins, ne
peut-on que louer le combat de ce brave désespéré.
Je ne laissai
pas d’apenser, en oyant M. de la Place discourir et en l’oyant avec toute la
révérence que sa profonde foi ne pouvait que m’inspirer, que si j’avais été
lui, je n’aurais pas
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