Paris Ma Bonne Ville
voir, et il nous baisa mais les cils secs, encore que sa lèvre
tremblât en dépit de sa huguenote et impayable austérité. Il lui fallut tout un
récit, que je fis du plus clair que je pus et qu’il ouït d’une fort diligente
oreille. Après quoi, il dit avec un grand soupir, et l’air chagrin :
— Quand
on coupe le figuier, il faut détruire sa racine. Sans cela il fait rejet et
laisse un fils après lui. C’était bien avisé d’occire Fontenac en loyal duel
mais, duel ou non, il eût fallu dépêcher aussi ce chien de Malvézie. Mon neveu,
vous avez bien décousu, mais sans rien achever. Nos traverses ne sont pas
finies, bien à rebours.
Sur l’avis de
Sauveterre et pour non point qu’on pût dire que son témoignage lui avait été
extorqué par la terreur et les tourments, on ne garda point le Roume à Mespech,
mais on l’envoya sous bonne escorte chez M. de Puymartin, lequel était papiste,
mais cependant fort de nos amis, ayant aux côtés de mon père défait les gueux
de la Lendrevie, le lendemain de la peste de Sarlat. Puymartin consentit à
l’occuper en son état de vannier, le Roume n’ayant guère appétit, après avoir dit
ce qu’il avait vu sur le chemin des Beunes devant le notaire Ricou, à retourner
se mettre à Fontenac sous la patte du Malvézie.
M. de la
Porte, lieutenant-criminel de Sarlat, que la frérèche fit quérir le lendemain
même du duel, vint incontinent à Mespech avec un greffier et un médecin,
examina, à la prière de mon père, le corps de Fontenac, lequel était bien armé
sous son pourpoint d’une cotte de mailles comme Giacomi l’avait pensé, et
requérant le médecin de sonder la profonde navrure qu’il avait à l’œil senestre
pour découvrir si elle avait été faite par balle ou par épée, conclut qu’une
arme blanche seule avait creusé cette béance en sa face. Mon père lui montra
ensuite ceux des gens de Fontenac qui avaient été occis dans la rencontre,
ainsi que les deux arquebuses dont avaient usé les tireurs du coteau, et qui
portaient, gravé en leur crosse, le nom de l’artisan de Sarlat qui les avait
façonnées, lequel quand M. de la Porte les lui apporta, se ramentut les avoir
vendues à Pâques au Baron-brigand.
Mais cela ne
satisfaisant pas encore M. de la Porte, lequel était fort prudent et avisé en
ces matières, il voulut ouïr l’un après l’autre et séparément les acteurs et
témoins de l’affaire, à savoir : Samson, Giacomi, Miroul et moi-même. À
peine avait-il achevé que Puyrnartin, qui avait appris qu’il était en nos murs,
arriva avec le notaire Ricou et trois de ses gens, et lui remit le témoignage
que le notaire avait rédigé en oc sous la dictée du Roume. Mais M. de la Porte
ne le voulut accepter que le notaire ne l’eût translaté d’abord en français, y
ayant une ordonnance du Roi qui commandait que toutes les pièces d’une
procédure fussent écrites en la langue du Nord. Tandis que le notaire labourait
à cette translation, M. de la Porte me requit de coucher par écrit le récit que
je lui avais conté à vif bec de mon duel avec le Baron de Fontenac. Il attendit
que j’eusse fini mon ouvrage et le notaire aussi avant que de s’en départir,
fort poli, comme à son accoutumée, mais l’œil toujours très froidureux, et sans
opiner en aucune guise, ni en rien prononcer, s’en tenant à la lettre de son
office. Cependant, à la façon dont il sourit tout soudain en baillant le revoir
à mon père, celui-ci augura que son siège était fait.
Il l’était, en
effet, mais non point celui des juges, comme M. de la Porte nous le dit, nous
venant visiter huit jours plus tard, à la tombée du jour et sans escorte aucune
(ce qui, à la rigueur, se pouvait expliquer, sa maison des champs étant si
proche de Mespech). Il n’y avait là que la frérèche, Samson et moi. Les cinq
chandelles du chandelier, en l’honneur de notre hôte allumées malgré notre
huguenote économie, éclairaient de côté, posée sur la blanche fraise à godrons,
sa franche face, carrée et colorée, de gentilhomme périgordin.
— Monsieur
le Baron, dit-il, je n’ai point oublié votre vaillant déportement lors de la
peste de Sarlat et combien, non content de ravitailler la ville avec cette
moitié de bœuf, vous fûtes le seul, avec Puymartin, à oser affronter le boucher
de la Lendrevie et à découdre ses gueux. Aussi suis-je venu céans non point ès
qualités de lieutenant-criminel de la
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