Paris Ma Bonne Ville
marri de s’être
défait si futilement de sa dague (dont aussi il parait mes coups) qu’il parut
perdre cœur au point de rompre de plusieurs pas et abaissant son arme, il me
dit d’un ton civil :
— Monsieur,
ce combat s’éternise en vain : laissons-le, de grâce. Nous n’en sortirons
mie !
— Monsieur
le Baron, dis-je abaissant à mon tour mon épée, vous avez traité mon père de
faquin, mon grand-père de laquais et moi-même de couard. Retirez-vous ces
paroles fâcheuses ?
— Je les
retire, dit Fontenac du ton le plus noble. Je le dois tant à votre vaillance
qu’à ma mansuétude. Et quant au droit de passage sur mon chemin, je serai
généreux assez pour vous le concéder. Rengainez donc, s’il vous plaît.
Je restai
confondu devant tant de plate impudence et d’autant plus que je voyais bien que
cette dérobade n’était que basse préface à nouvelle traîtrise, et trouvant en
mon for la manœuvre si peu ragoûtante qu’à peu que la nausée m’en prît, je me
rivai bien de mes deux pieds sur le sol et assurai ma prise derechef sur ma
frémissante épée :
— Monsieur,
dis-je, voulant en finir au plus tôt avec la sale comédie de ce scélérat, je
vous rends mille grâces mais j’en ai décidé autrement. Je passerai, en effet,
mais sur votre corps.
Quoi oyant,
sans un mot, sans me laisser le temps de me remettre en garde, Fontenac,
pensant me surprendre, se rua sur moi comme fol, poussant une hurlade terrible,
l’épée en avant. Cependant, attendant cette surprise-là, je parai et, relevant
ma lame, en menaçai sa face, laquelle Fontenac, poursuivant son furieux élan,
vint embrocher sur ma pointe, celle-ci lui entrant dans l’œil senestre de deux
pouces et faisant en son cerveau tel dégât et dommage qu’il s’écroula d’un coup
et d’une masse, comme bœuf à la mazelerie sous le poinçon d’un mazelier.
Je fus béant
de cet estoc-là que j’avais si peu délibéré, hésitant à m’en donner gloire,
doutant même que fût occis de ma main, étendu à mes pieds en son éternelle
mort, l’ennemi de ma famille ; j’en croyais à peine mes yeux, pour ce que
couché, il me paraissait plus grand que debout, la face plus vile et basse
qu’oncques ne lui avais vue en notre dispute, même quand il raquait contre moi
ses féroces injures. Cependant, comme il ne bougeait mie, je courus vers le
chemin où il me sembla de loin qu’il y avait quelque tumulte entre ses gens et
les miens.
Il faut rendre
cette justice au Sieur de Malvézie que de tout le domestique de Fontenac il fut
le premier à s’aviser de fuir dès qu’il vit le Baron tomber et sans s’inquiéter
plus outre s’il était mort ou non. Ce qu’il fit avec une célérité merveilleuse
entraînant avec lui par la bride de son cheval le curé Pincettes alors même que
ses gens tiraient l’épée, confrontant les nôtres sans leur vouloir céder le
terrain, se cuidant plus forts, étant cinq contre trois, et oubliant nos pistolets,
lesquels étrangement les miens oubliaient aussi, ayant dégainé aussi, croisant
le fer avec ces vilains.
À peine
eussé-je bondi du pré sur le chemin que je vis morte ma pauvre Accla et en fus
si troublé et de chagrin si perclus et si cloué au sol qu’à peu qu’un de ces
marauds ne me transperçât de sa lame, laquelle Giacomi, à l’ultime seconde,
détourna par le canon de son pistolet qu’il tenait toujours de sa main
senestre, mais sans faire feu :
— Sanguienne !
hurlai-je ivre d’un soudain courroux, tirez !
— Quoi !
dit Giacomi, tirer contre des gens qui n’ont que le fer à nous opposer !
— Tire,
Giacomi ! criai-je. Faut-il hasarder d’autre vie que celle de mon
Accla ?
Et comme ni
Giacomi, ni mon cadet, ni Miroul, à mon incommensurable rage, ne faisaient comme
je disais, je saisis un pistolet dans les fontes de mon Samson et incontinent
abattis un de ces misérables. C’en fut trop pour eux. Tournant leurs montures,
ils s’ensauvèrent à brides avalées.
— Et
Malvézie, criai-je, qu’est devenu ce chien de Malvézie ?
— Il a
fui, dit Samson, tournant vers moi son innocente face, toute brillante du
bonheur de me voir sauf.
— Havre
de grâce, vous l’avez laissé fuir ! hurlai-je. Miroul, ton cheval !
et, me jetant en selle, je criai : Amis, poursuivons ! Il nous faut détruire
à la chaude tout ce nid de frelons si nous voulons avoir la paix !
Je ne les
attendis point. Je piquai ! Mais le hongre de mon
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