Paris vaut bien une messe
D’autres hommes
déployaient de larges draperies blanc et or. C’étaient là les seuls signes
qu’une semaine de fêtes nuptiales et royales allait commencer le lendemain.
En s’engageant dans la rue Saint-Honoré, il vit s’avancer
une procession précédée de porteurs d’oriflammes. Des moines, des religieuses,
des prêtres déambulaient en tête d’une foule qui priait, menaçant du poing les
gentilshommes huguenots.
Montanari pressa le pas. Cette ville était dangereuse,
grosse d’un événement sanglant. Elle l’attendait, l’espérait comme une femme
qui sait que l’accouchement doit advenir, même si elle ne peut encore en
prévoir l’instant.
Montanari frissonna. Jamais il n’avait eu peur durant toute
la bataille de Lépante, mais ces rues-là étaient des coupe-gorges et il n’avait
aucune raison d’y perdre la vie.
C’était bel et bien de guet-apens, d’égorgement, de massacre
que parlait de Diego de Sarmiento dans la grand-salle de l’hôtel d’Espagne où
il avait reçu Montanari.
— Si Venise est ici avec nous, avait-il commencé, c’est
que nous allons vaincre, les écraser. Car la Sérénissime, n’est-ce pas, ne
s’engage qu’aux côtés des plus forts…
Il dissuada Montanari de répondre, levant la main, ajoutant
qu’il était heureux que se reconstitue une Sainte Ligue contre les hérétiques.
Il savait que le pape Grégoire XIII la souhaitait, car le péril majeur
était ici – il avait frappé le parquet du talon. Si l’on voulait un jour
délivrer le tombeau du Christ, il fallait ne pas laisser détruire sa religion
et son Église dans les royaumes chrétiens, comme le faisaient trop de
catholiques en France, et le roi Très Chrétien lui-même, aveuglé par sa
jalousie des Espagnols, empoisonné par les conseils de l’amiral de Coligny et
de Guillaume de Thorenc.
— Et Bernard de Thorenc ? interrogea Montanari.
Diego de Sarmiento rit en écartant les bras.
Bernard de Thorenc était bien comme son frère cadet,
répondit l’Espagnol. Ils se connaissaient, certes, depuis les chiourmes des
infidèles, c’était un homme courageux… Mais Sarmiento avait eu un geste de la
main et une mimique exprimant la déception.
— Bernard s’est épris d’une huguenote et il en est
tourneboulé. Tant qu’il ne l’aura pas culbutée, il en aura la tête embrumée.
Mais, s’il ne se dépêche pas, d’autres écarteront les jambes de cette donzelle,
et, qu’elle le veuille ou non, il faudra bien qu’elle les accueille dans son
petit nid. Et il en sera ainsi pour toutes ces « robes noires ». On
verra ce qu’il y a sous leur tissu de veuve ! Du sein rose ou de la
carne !
Montanari écoutait. Tout cela n’était que bavardage,
saillies, et ne permettait pas de rédiger un rapport.
D’une voix lente, il posa donc des questions précises,
indiquant que le doge et le Conseil des dix attendaient ses courriers.
— Je vais vous dire, Montanari, comment on chasse
certains animaux nuisibles en Espagne, répondit Sarmiento. On dispose un sac
dont on peut clore l’entrée en tirant sur une simple cordelette. Au fond du
sac, on dépose ce que l’animal qu’on veut chasser recherche comme son mets le
plus précieux : de la viande, du fromage… On attend. On guette l’instant
où l’animal se sera engouffré au fond du sac. On tire sur la cordelette. Et à
coups de gourdin on frappe cette masse qui gigote et qui crie. On s’arrête
lorsque la forme est devenue immobile, écrasée, que le sac est devenu écarlate.
Diego de Sarmiento s’approcha de Montanari.
— Bientôt, ce sera le moment de refermer le sac, dit-il.
— La reine mère a voulu ce mariage, murmura
Montanari ; elle ne peut faire de sa fille une veuve dès le lendemain des
noces.
Sarmiento haussa les épaules.
— Henri abjurera. Il a déjà changé plusieurs fois de
religion. Ce n’est pas lui qu’il faut craindre, mais Coligny, Guillaume de
Thorenc, cette vermine de gentilshommes huguenots, cette armée de fiers-à-bras
qui veulent faire la guerre à l’Espagne et gouverner le royaume de France.
Ceux-là, Catherine les craint. Et ils sont dans le sac !
Il raconta que Henri d’Anjou, frère du roi, était l’un des
plus déterminés à frapper, à nettoyer le royaume de cette secte. Il avait même
imaginé, avec les Italiens de l’entourage de Catherine de Médicis, d’organiser,
comme s’il s’était agi d’un jeu, un assaut des huguenots contre un fort,
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