Paris vaut bien une messe
contre l’Espagne. Elle désirerait se venger
de l’amiral de Coligny, qui a fait tuer l’un de ses proches. On dit qu’elle a
rencontré à plusieurs reprises Henri de Guise, le Balafré, pour lui rappeler
que Coligny est aussi coupable de la mort et de l’assassinat de François de
Guise, le propre père de Henri. Elle l’a incité à mettre à mort l’amiral.
Ainsi se trame une conspiration dont les auteurs se sentent
si forts, si bien soutenus par le peuple parisien qu’ils ont du mal à cacher
leurs intentions.
Lors des fêtes qui viennent de s’achever, les huguenots
étaient représentés dans les spectacles comme voués à l’enfer, ou bien traités
en infidèles.
Mais ces huguenots sont si fats, si sûrs d’eux-mêmes qu’ils
ne semblent même pas avoir remarqué le sort auquel on les destinait, non plus
sur la scène d’un théâtre, mais dans la vie.
Ainsi, après avoir écouté Enguerrand de Mons, Diego de
Sarmiento, les gentilshommes qui les entourent, les pères Veron et Verdini qui
les reçoivent en confession, les conseillent et haranguent le menu peuple, j’ai
l’audace de conclure, Illustres Seigneuries, que ce qui se prépare sera aussi sanglant
et impitoyable que la plus cruelle des guerres.
Enguerrand de Mons a d’ailleurs souvent évoqué devant moi la
victoire de Lépante contre les Turcs, ajoutant qu’il fallait poursuivre notre
croisade ici même, contre les huguenots, châtier la rage et la méchanceté de
ces chiens barbares, plus coupables que les infidèles, parce que élevés dans la
foi du Christ.
Diego de Sarmiento a lui aussi affirmé qu’il faudrait, dans
le royaume de France, livrer une seconde bataille de Lépante, les combattants
de la Croix venant se rassembler pour la gagner.
Au Conseil privé du roi, ce jour, jeudi 21 août –
c’est Henri d’Anjou qui l’a rapporté à Enguerrand de Mons –, il s’est dit
que l’on avait vu force gens à cheval entrer dans Paris, avec des pistolets et
des arquebuses à l’arçon de la selle pour tourner la défense de port d’armes.
S’agissait-il de gentilshommes huguenots ou de spadassins
des Guises ? peut-être même d’Espagnols ?
J’opine pour une troupe ennemie des huguenots, car elle a
afflué vers Paris en même temps qu’y arrivait Henri de Navarre. D’ailleurs,
certains d’entre eux, sans doute avertis du danger qui les menace, ou le
pressentant, ont commencé de quitter la ville.
Sarmiento m’a dit : “Les plus malins de la secte
sortent du sac avant qu’on ait tiré sur la cordelette qui le ferme.”
J’ai rencontré Bernard de Thorenc ce même jeudi
21 août. Il quittait comme moi le Louvre à l’issue du tournoi.
J’ai aperçu près de lui une jeune femme dont j’avais
remarqué qu’elle faisait partie des suivantes de Catherine de Médicis.
Bernard m’a longuement parlé d’elle. Il s’agit d’Anne de
Buisson dont le frère, proche de l’amiral de Coligny, a été tué par les
Espagnols à Mons, alors qu’à la tête d’une petite armée de gentilshommes et de
lansquenets allemands il se portait au secours de protestants des Pays-Bas.
Robert de Buisson aurait été torturé, puis pendu. On aurait
saisi sur lui une lettre du roi Charles IX l’incitant à combattre
l’Espagne dans l’intérêt du royaume de France. À l’époque, l’affaire fit grand
bruit.
Anne de Buisson est ainsi devenue l’une des figures du parti
huguenot et qu’elle soit toujours au service de Catherine n’étonne que ceux qui
ignorent l’habileté et la perversité florentines de la reine mère.
Celle-ci entend garder des liens avec tous les camps, se
donner l’apparence d’une reine de paix, alors même qu’elle conspire à la perte
des huguenots et incite le duc de Guise à faire assassiner l’amiral de Coligny.
J’ai longuement interrogé Bernard de Thorenc afin de découvrir
ce qu’il savait. Il est au centre du labyrinthe. Sarmiento l’estime et le
protège. Son frère Guillaume est l’un des chefs du parti huguenot et le
conseiller de Coligny. De surcroît, lui-même est épris d’Anne de Buisson, qui
m’a paru partager sa flamme.
Bernard de Thorenc m’a étonné. Il parle d’un prochain
“égorgement général” des huguenots comme s’il le considérait inéluctable. Mais,
dans le même temps, je l’ai trouvé étrangement joyeux pour un homme qui annonce
un massacre risquant d’emporter et son frère et sa bien-aimée.
Peut-être
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