Paul Verlaine et ses contemporains par un témoin impartial
s’éteint, où tout périclite, où il est si difficile de s’orienter, ton image sera pour nous l’Étoile directrice, le Phare sur la mer démontée. »
Dans un fascicule spécial consacré au poète [70] , Stéphane Mallarmé, en quelques lignes, enferme l’œuvre et la montre toute condensée en un seul ouvrage : « Tout, de loin ou de près, ce qui s’affilie à SAGESSE, en dépend et pourrait y retourner, pour grossir l’unique livre : là, en un instant principal, ayant écho par tout Verlaine, le doigt a été mis sur la touche inouïe qui résonne solitairement, séculairement. »
Dans une lettre à Cazals, J.-K. Huysmans a évoqué de lointains souvenirs [71] : « Verlaine était depuis peu rentré en France. Un ami commun, le bon Robert Caze, nous avait réunis dans son logement de la rue Rodier. Bien peu d’écrivains connaissaient alors Sagesse , qui avait été si soigneusement enfouie dans le placard d’une librairie catholique. Ce fut, je crois bien, pour son auteur, un peu de légitime joie, lorsqu’il nous entendit, tous les deux, lui en parler avec une admiration qu’il sentait n’être point feinte, et il se débrida, sortit tout cet affectueux côté d’enfant et de brave homme qui était en lui. – Après le dîner, nous l’amenâmes à Villiers de l’Isle-Adam qu’il n’avait pas, depuis des années, revu… Et je revois Verlaine, dans cette pose que vous avez si bien rendue, regardant de ses petits yeux qui se recueillent, l’ébullition de son ami, secouant d’un coup de tête, la mèche de ses cheveux, se reculant comme pour prendre du champ, puis levant les bras en l’air en inclinant tout son buste sur la table qui les sépare. »
Ernest Delahaye, qui connaissait le poète depuis vingt-cinq ans [72] , écrit que « Verlaine n’a été fait vraiment bien que par Cazals… Cazals a évoqué le Saturnien, le prédestiné aux drames et aux déchirantes tristesses, qui s’était décrit, et prédit :
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte,
De ci, de là,
Pareil à la
Feuille morte. »
Dans les Opinions de la Presse qui complètent cet album de Cazals, quelques mots d’Anatole France, fragment d’un article du Temps (15 novembre 1891), rappellent quatre vers de Verlaine, où gît toute sa simplicité humaine :
« La misère et le mauvais œil, –
Soit dit sans le calomnier, –
Ont fait à ce monstre d’orgueil
Une âme de vieux prisonnier. »
BIOGRAPHIE
I
La famille de Paul Verlaine est originaire des Ardennes, vers les plateaux avoisinant la Semoys, près de Bouillon, dans le Luxembourg belge. Ses ancêtres ont habité les villages de Bras, Arville, Jehonville, Bertrix, où plusieurs ont appartenu à l’Église et à l’Armée, et c’est à Bertrix, dans l’ex-département des Forêts (Belgique), que naquit son père, Auguste Verlaine, de Henry-Joseph Verlaine et Anne-Louise-Augustine Grandjean, qui eurent aussi deux filles.
Nicolas-Auguste Verlaine, né à Bertrix le 24 mars 1798, s’engagea en 1814. Il opta pour la France après le deuxième traité de Paris (1815), qui nous avait pris Bouillon et autres villes. Ayant conquis ses grades un à un, il était, en 1831, année de son mariage avec Julie Déhée, lieutenant au 1 er régiment du génie, en garnison à Arras.
Élisa-Stéphanie-Julie-Josèphe Déhée était née à Fampoux, en Artois, le 23 mars 1809, de Julien Déhée, fermier, et Madeleine Soualle.
Le 15 décembre 1831, à Arras, fut enregistré le mariage du lieutenant Auguste Verlaine, chevalier de la Légion d’honneur (1830), de l’ordre de Saint-Ferdinand d’Espagne, et médaillé de Sainte-Hélène (inscription 11439 de la Grande Chancellerie), avec Julie Déhée.
Auguste Verlaine, qui fut depuis capitaine au 3°, puis au 2° régiment du génie, quitta la ville d’Arras et vint avec sa femme habiter Metz, en face de l’École d’application du génie et de l’artillerie.
Paul-Marie Verlaine est né à Metz, rue Haute-Pierre, n° 2, le 30 mars 1844.
C’est dans cette ville, où il épela ses lettres à une petite pension de la rue aux Ours, qu’il passa ses premières années ; on le conduisit quelquefois dans le pays de sa mère. Puis son père dut rejoindre son régiment à Montpellier, et l’enfant assista là-bas, en plein midi,
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