Perceval Le Gallois
la grande tente.
Il trouva là une femme magnifique, aux cheveux très bruns, au visage avenant, aux yeux noirs, à demi prostrée sur une couche tendue de velours. Elle semblait triste et désemparée ; des larmes coulaient sur ses joues. « Reine, dit Onnen, voici Perceval le Gallois, fils du comte Evrawc. C’est dans l’espoir de son arrivée que toutes ces tentes ont été dressées, souviens-t’en. » Celle qu’Onnen avait appelée reine se redressa, et ses yeux se fixèrent intensément sur Perceval. « Ah ! dit-elle, c’est donc lui le fils de la Veuve Dame ? – Oui, c’est lui. – Hélas ! reprit la reine, il n’est pas le Bon Chevalier que nous attendons toutes depuis que le Roi Pêcheur est atteint de langueur. Il n’a pas posé de questions lorsqu’il a vu la Lance qui saigne et le Graal. Il n’a pas guéri le Roi Pêcheur. Il a brisé l’épée grâce à laquelle il devait retrouver le chemin de la cour du Roi Pêcheur. Il a injustement blessé le plus fidèle des compagnons d’Arthur. Enfin, chose qui m’est pénible et douloureuse, il a tué Kaw le Roux, mon parent, celui qui, malgré ses mauvaises actions, avait juré de me protéger et qui a toujours tenu sa promesse. Que deviendrai-je désormais sans mon défenseur quand mes ennemis m’attaqueront ? – Reine, dit la Demoiselle Chauve, celui-ci est fort capable de t’aider et de te défendre, car il vient de prouver qu’il est le meilleur et le plus beau chevalier du monde. »
La reine médita quelques instants, puis elle se leva et, prenant Perceval par la main, le fit asseoir à ses côtés. « Seigneur, lui dit-elle d’une voix troublée par une violente émotion, quels que soient tes torts, quelles que soient les souffrances et les déceptions que nous avons subies par ta faute, mon cœur me pousse à me réjouir de ta présence. » En disant ces mots, la reine le regardait attentivement. Et plus elle le regardait, plus elle se sentait brûlée au fond d’elle-même par le plus violent des désirs. Et celui-ci prit une telle intensité qu’elle eût voulu se précipiter dans ses bras et l’étreindre avec frénésie.
Elle se contint cependant et se borna à murmurer : « J’aurais été si heureuse que tu sois le Bon Chevalier ! » À ce moment, la Demoiselle Chauve intervint : « Reine, dit-elle, si Perceval n’est pas le Bon Chevalier que nous espérions, du moins est-il celui qui précède le Bon Chevalier vers la cour du Roi Pêcheur. Il sera l’un de ceux qui termineront les aventures, n’en doute point. Voilà pourquoi tu dois malgré tout l’aider. » La reine se mit à soupirer. « Seigneur, dit-elle au Gallois, si tu me promets de m’aimer plus que toute autre femme au monde, je te pardonnerai la mort de Kaw le Roux et toutes les souffrances que nous avons endurées. » Perceval n’était pas, loin de là, insensible au charme de cette étrange reine dont il ne savait même pas le nom. De quel royaume était-elle donc la souveraine ? Et qui étaient ces femmes qui l’entouraient dans cet immense camp volant ? « Dame, répondit-il, je t’aimerai plus que nulle autre femme au monde. Tu as ma parole, sois-en assurée. – Mais quelle garantie m’en donnes-tu ? – Dame, je vais te le dire : il n’est nul homme qui te manquerait de respect ou qui voudrait te causer du tort que je ne poursuivisse au péril de ma vie. – Certes, repartit la reine, cette espèce d’amour est des plus normales, d’un chevalier à une femme qui lui plaît. Mais tu en dirais tout autant à une autre ! – Peut-être, répondit Perceval, mais sache que l’on se met plus volontiers au service de l’une que de l’autre. » La reine eût préféré voir Perceval se montrer plus chaleureux, plus passionné, mais elle dut se contenter de cet engagement formel. Et plus elle le regardait, plus il lui plaisait, et plus elle en était éprise.
En sortant de la tente, après que la reine l’eut prié de revenir à l’heure du repas, Perceval se mit à marcher au hasard. Les autres femmes s’étaient dispersées, et il n’en rencontra aucune. Il était tourmenté, indécis, mal à l’aise, et il sentait monter en lui le désir de s’enfuir au plus vite. Il toucha le fourreau de son épée qu’il avait conservée à sa ceinture. Il lui fallait partir pour le lac Cotoatre, là où résidait le forgeron Govannon ; il fallait que cette épée fût ressoudée. Et seul le forgeron Govannon pouvait lui
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