Perceval Le Gallois
je l’ai frappé par deux fois. – Quelle qu’en soit la cause, la fureur est une mauvaise chose, Perceval. Pour qui veut à tout prix retrouver le chemin qui mène à la cour du Roi Pêcheur, force est d’abandonner d’abord toute colère et toute violence ! »
Pendant que Perceval et sa cousine parlaient ainsi, les deux autres femmes s’étaient approchées du chevalier blessé. Elles l’avaient examiné et, après s’être concertées, l’avaient soulevé, non sans peine, et déposé sur le char. La jeune femme sans monture s’approcha alors de Perceval et lui dit : « Peut-être es-tu privé de ton épée, chevalier, mais sois sans crainte, tu es le meilleur, tu viens de le prouver. – Comment cela ? demanda-t-il. – Sais-tu qui tu as abattu et grièvement blessé dans ta fureur orgueilleuse ? Lancelot du Lac, le fils du roi Ban de Benoïc, celui dont on dit partout qu’il est le meilleur chevalier du monde ! » À cette révélation, Perceval demeura abasourdi un long moment. « Par ma foi ! s’écria-t-il enfin, si j’avais su, jamais je ne l’aurais provoqué de la sorte ! Suis-je donc maudit ? – C’est toi qui le dis ! répliqua la Demoiselle Chauve en le regardant se tordre les mains de désespoir. – Que puis-je donc faire pour réparer mes torts ? demanda-t-il avec des sanglots dans la voix. – Rien, répondit froidement sa cousine. C’est à nous de nous occuper de Lancelot et de le faire soigner. » Et, sans ajouter un mot, Onnen fit claquer son fouet ; les cerfs prirent leur élan et tirèrent le char où gisait le fils du roi Ban, tandis que les deux femmes activaient leurs mules et que la troisième se mettait à courir derrière elles. Le cortège disparut derrière les arbres, laissant Perceval à sa mélancolie et à sa solitude.
Il demeura immobile à la même place, ne sachant s’il devait ou non se lancer sur les traces de l’étrange char où se trouvait le chevalier qu’il avait si inconsidérément blessé. Puis il eut le désir d’accourir au chevet de Lancelot et de se déclarer son homme lige. Il se maudissait de sa violence et de son orgueil et se sentait prêt à s’humilier pour que justice fût rendue à celui qu’il vénérait et respectait comme le meilleur chevalier du monde. Alors, il éperonna son cheval et s’en alla dans la direction qu’avait empruntée la Demoiselle Chauve.
Il déboucha bientôt dans une grande plaine de l’autre côté de laquelle avaient été dressées des tentes multicolores en nombre incalculable. Il galopa jusque-là et prêta l’oreille : il entendit les lamentations d’une foule de gens qui se désolaient en frappant dans leurs mains. Il résolut néanmoins de faire halte en ces lieux, mit pied à terre au milieu des tentes et posa sa lance sur son bouclier. Il aperçut alors un grand nombre de femmes et de jeunes filles qui se tordaient les mains, s’arrachaient les cheveux, et il se demanda pourquoi elles menaient si grand deuil, L’une des jeunes filles s’avança vers lui et lui cria : « Seigneur ! plaise au Ciel que tu sois venu jusqu’ici pour ton malheur et ton déshonneur ! » Il la regarda d’un air stupide mais, sans s’attarder près de lui, elle courut vers la tente qui était la plus vaste et la mieux ornée, toute faite de soie vermeille et surmontée d’une pierre précieuse où se concentraient les rayons du soleil. Elle écarta le rideau de l’entrée et dit : « Dame ! dame ! voici celui qui a tué le meilleur homme de ton lignage, Kaw le Roux, ton parent et soutien ! Et c’est lui aussi qui a mis à mal, sans doute par jalousie et traîtrise, le fils du roi Ban de Benoïc ! »
Dès que la jeune fille eut prononcé ces paroles, la foule des femmes et des jeunes filles, cessant de se lamenter, s’amassa, le visage hostile et dans un grand silence, autour du Gallois. Celui-ci remarqua que pas un seul homme ne se trouvait parmi ces femmes, et il en éprouvait un affreux malaise quand apparut sa cousine, la Demoiselle Chauve. Elle alla vers lui et lui prit la main. « Cher cousin, dit-elle, en dépit de toutes les fautes que tu as commises, je dois te servir de garant. Sois le bienvenu, dût ta présence ici déplaire à certaines. » Sur ce, elle ordonna à deux jeunes filles de désarmer Perceval, ce qu’elles firent immédiatement, et une troisième lui apporta un manteau de lin blanc. Alors, le reprenant par la main, la Demoiselle Chauve le fit entrer dans
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