Perceval Le Gallois
père et de mes frères. Ce château où tu es, nous l’avons pris à ton père, et nous en sommes fiers. Et maintenant, je vais prendre ta vie ! Ainsi ma vengeance sera-t-elle menée à son terme !
— Seigneur, répondit Perceval, si je me suis arrêté dans cette forteresse, c’est pour te prier de m’accorder l’hospitalité. Tu risquerais d’être blâmé et honni si tu me maltraitais, et ce d’autant plus qu’avec mon épée brisée je ne saurais t’affronter en combat loyal. Héberge-moi cette nuit comme tout chevalier doit le faire en faveur d’un autre chevalier et, demain, avant mon départ, je m’y engage, pourvu que tu me fournisses une épée, nous réglerons cette affaire. – Sur ma tête ! s’écria Kaw, mon ennemi mortel, je ne puis l’héberger que mort ! Et peu importe que tu aies ton épée ou non, tu ne sortiras pas vivant d’ici ! » Sur ce, il se précipita dans la salle et ne tarda pas à en ressortir tout armé et l’épée levée sur Perceval qui, à la pensée que ce château avait appartenu à son père et lui avait été ravi par traîtrise, ne se tenait plus d’impatience et de colère.
Bien qu’il fût â pied, le Gallois, au lieu de se défaire de sa lance, la darda contre l’homme qui l’assaillait ainsi au mépris de toutes les coutumes, et il lui en assena un si grand coup à la tête qu’il perça son heaume. Kaw vacilla, mais, s’étant ressaisi, il bondit sur Perceval et le frappa à son tour, du plat de son épée, si fort sur le heaume que des étincelles en jaillirent, éclaboussant alentour la pénombre. Le choc fut rude, mais Perceval réussit à demeurer debout. Il recula même de quelques pas, et, prenant son élan, se rua, lance en avant, sur son adversaire avec une telle fureur que cette fois le fer traversa le crâne de Kaw et lui répandit la cervelle sur l’herbe de la cour. En poussant un cri horrible, le rouquin tomba aux pieds du Gallois.
Alors s’ouvrirent des fenêtres où se montrèrent les visages des serviteurs : deux valets et deux jeunes filles en tout et pour tout. « Seigneur ! dit enfin l’un d’eux, tu viens de tuer le plus hardi de tous les chevaliers de ce royaume, le plus redouté de ses ennemis. Mais nous ne pouvons rien contre cela, chevalier. Nous savons que cette forteresse, ainsi que toutes les terres qui l’entourent, appartenaient jadis à ton père et qu’elles doivent, en toute justice, te revenir. Nous ne te les disputerons assurément pas, et tu pourras disposer à ta guise de tout ce qu’elles contiennent. Nous avons une seule requête à te présenter : notre seigneur gît là, mort, sur l’herbe de la cour. Permets-nous d’enlever son corps et de le transporter en un lieu convenable. C’était un vaillant chevalier, et nous, nous avons le devoir de lui rendre un dernier hommage. – Faites comme bon vous semble », répondit Perceval.
Ils emportèrent donc le cadavre dans une chapelle où, après l’avoir désarmé, ils l’ensevelirent. Puis, revenant vers Perceval qui attendait, dans la cour, près de son cheval, ils l’invitèrent à entrer dans la grande salle, l’aidèrent à retirer son armure et lui dirent : « Seigneur, crois-le bien, nous sommes seuls en cette forteresse, deux servantes et deux valets. Kaw le Roux avait verrouillé les portes mais, désormais, tu es notre maître, voici donc les clefs. Nous te les remettons afin que tu en disposes selon ton gré : tu peux t’en aller ou demeurer céans aussi longtemps que tu voudras. – Eh bien, répondit Perceval, je vous confie en garde cette forteresse. Prenez-en soin en mon nom, et ne manquez pas d’accueillir tous les chevaliers qui vous prieront de les héberger. – Nous le ferons, seigneur », dirent les servantes et les valets.
Perceval passa la nuit dans le château qui avait appartenu à son père et dont la reconquête parachevait la vengeance jadis promise à sa mère, le jour où il avait quitté la Gaste Forêt. Le lendemain matin, dès la jeunesse du jour, il se leva, s’habilla et revêtit ses armes, prenant bien soin d’emporter son épée brisée en deux tronçons. Les habitants de la forteresse vinrent le saluer et lui jurèrent de la garder en toute loyauté et de la lui remettre dès qu’il les en requerrait. Alors, il les recommanda à Dieu, sauta sur son cheval et partit.
Après avoir longtemps chevauché, il arriva dans une belle et vaste clairière où il remarqua un arbre bien feuillu, bien
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