Pilote de guerre
était reniement de Dieu en soi-même. Le devoir d’Espérance eût pu se traduire par : « Tu te crois donc si important ? Quelle fatuité dans ton désespoir ! »
Ma civilisation, héritière de Dieu, a fait chacun responsable de tous les hommes, et tous les hommes responsables de chacun. Un individu doit se sacrifier au sauvetage d’une collectivité, mais il ne s’agit point ici d’une arithmétique imbécile. Il s’agit du respect de l’Homme au travers de l’individu. La grandeur, en effet, de ma civilisation, c’est que cent mineurs s’y doivent de risquer leur vie pour le sauvetage d’un seul mineur enseveli. Ils sauvent l’Homme.
Je comprends clairement, à cette lumière, la signification de la liberté. Elle est liberté d’une croissance d’arbre dans le champ de force de sa graine. Elle est climat de l’ascension de l’Homme. Elle est semblable à un vent favorable. Par la grâce du vent seul, les voiliers sont libres, en mer.
Un homme ainsi bâti disposerait du pouvoir de l’arbre. Quel espace ne couvrirait-il pas de ses racines ! Quelle pâte humaine n’absorberait-il pas, pour l’épanouir dans le soleil !
XXVII
Mais j’ai tout gâché. J’ai dilapidé l’héritage. J’ai laissé pourrir la notion d’Homme.
Pour sauver ce culte d’un Prince contemplé au travers des individus, et la haute qualité des relations humaines que fondait ce culte, ma civilisation cependant avait dépensé une énergie et un génie considérables. Tous les efforts de l’« Humanisme » n’ont tendu que vers ce but. L’Humanisme s’est donné pour mission exclusive d’éclairer et de perpétuer la primauté de l’Homme sur l’individu. L’Humanisme a prêché l’Homme.
Mais quand il s’agit de parler sur l’Homme, le langage devient incommode. L’Homme se distingue des hommes. On ne dit rien d’essentiel sur la cathédrale, si l’on ne parle que des pierres. On ne dit rien d’essentiel sur l’Homme, si l’on cherche à le définir par des qualités d’homme. L’Humanisme a ainsi travaillé dans une direction barrée d’avance. Il a cherché à saisir la notion d’Homme par une argumentation logique et morale, et à le transporter ainsi dans les consciences.
Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. L’unité de l’Être n’est pas transportable par les mots. Si je désirais enseigner à des hommes, dont la civilisation l’ignorerait, l’amour d’une patrie ou d’un domaine, je ne disposerais d’aucun argument pour les émouvoir. Ce sont des champs, des pâturages et du bétail qui composent un domaine. Chacun, et tous ensemble, ils ont pour rôle d’enrichir. Il est cependant, dans le domaine, quelque chose qui échappe à l’analyse des matériaux, puisqu’il est des propriétaires qui, par amour de leur domaine, se ruineraient pour le sauver. C’est, bien au contraire, ce « quelque chose » qui ennoblit d’une qualité particulière les matériaux. Ils deviennent bétail d’un domaine, prairies d’un domaine, champs d’un domaine…
Ainsi devient-on l’homme d’une patrie, d’un métier, d’une civilisation, d’une religion. Mais pour se réclamer de tels Êtres, il convient, d’abord, de les fonder en soi. Et, là où n’existe pas le sentiment de la patrie, aucun langage ne le transportera. On ne fonde en soi l’Être dont on se réclame que par des actes. Un Être n’est pas de l’empire du langage, mais de celui des actes. Notre Humanisme a négligé les actes. Il a échoué dans sa tentative.
L’acte essentiel ici a reçu un nom. C’est le sacrifice.
Sacrifice ne signifie ni amputation, ni pénitence. Il est essentiellement un acte. Il est un don de soi-même à l’Être dont on prétendra se réclamer. Celui-là seul comprendra ce qu’est un domaine, qui lui aura sacrifié une part de soi, qui aura lutté pour le sauver, et peiné pour l’embellir. Alors lui viendra l’amour du domaine. Un domaine n’est pas la somme des intérêts, là est l’erreur. Il est la somme des dons.
Tant que ma civilisation s’est appuyée sur Dieu, elle a sauvé cette notion du sacrifice qui fondait Dieu dans le cœur de l’homme. L’Humanisme a négligé le rôle essentiel du sacrifice. Il a prétendu transporter l’Homme par les mots et non par les actes.
Il ne disposait plus, pour sauver la vision de l’Homme à travers les hommes, que de ce même mot embelli par une majuscule. Nous risquions de glisser sur
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