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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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de nos souvenirs. Ainsi les marchands échangent des trésors, s’ils se croisent, retour des îles.
    Dans ma civilisation, celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit. Notre unité, au-dessus de nous, se fonde en l’Homme. Ainsi nos discussions du soir, au Groupe 2/33, loin de nuire à notre fraternité, l’épaulent, car nul ne souhaite entendre son propre écho, ni se regarder dans un miroir.
    En l’Homme se retrouvent, de même, les Français de France et les Norvégiens de Norvège. L’Homme les noue dans son unité, en même temps qu’il exalte sans se contredire leurs coutumes particulières. L’arbre aussi s’exprime par des branches qui ne ressemblent pas aux racines. Si donc, là-bas, on écrit des contes sur la neige, si l’on cultive des tulipes en Hollande, si l’on improvise des flamencos en Espagne, nous en sommes tous enrichis en l’Homme. C’est peut-être pourquoi nous avons souhaité, nous du Groupe, combattre pour la Norvège…
    Et voici qu’il me semble parvenir au terme d’un long pèlerinage. Je ne découvre rien, mais, comme au sortir du sommeil, je revois simplement ce que je ne regardais plus.
    Ma civilisation repose sur le culte de l’Homme au travers des individus. Elle a cherché, des siècles durant, à montrer l’Homme, comme elle eût enseigné à distinguer une cathédrale au travers des pierres. Elle a prêché cet Homme qui dominait l’individu…
    Car l’Homme de ma civilisation ne se définit pas à partir des hommes. Ce sont les hommes qui se définissent par lui. Il est en lui, comme en tout Être, quelque chose que n’expliquent pas les matériaux qui le composent. Une cathédrale est bien autre chose qu’une somme de pierres. Elle est géométrie et architecture. Ce ne sont pas les pierres qui la définissent, c’est elle qui enrichit les pierres de sa propre signification. Ces pierres sont ennoblies d’être pierres d’une cathédrale. Les pierres les plus diverses servent son unité. La cathédrale absorbe jusqu’aux gargouilles les plus grimaçantes, dans son cantique.
    Mais, peu à peu, j’ai oublié ma vérité. J’ai cru que l’Homme résumait les hommes, comme la Pierre résume les pierres. J’ai confondu cathédrale et somme de pierres et, peu à peu, l’héritage s’est évanoui. Il faut restaurer l’Homme. C’est lui l’essence de ma culture. C’est lui la clef de ma Communauté. C’est lui le principe de ma victoire.

XXVI
    Il est aisé de fonder l’ordre d’une société sur la soumission de chacun à des règles fixes. Il est aisé de façonner un homme aveugle qui subisse, sans protester, un maître ou un Coran. Mais la réussite est autrement haute qui consiste, pour délivrer l’homme, à le faire régner sur soi-même.
    Mais qu’est-ce que délivrer ? Si je délivre, dans un désert, un homme qui n’éprouve rien, que signifie sa liberté ? Il n’est de liberté que de « quelqu’un » qui va quelque part. Délivrer cet homme serait lui enseigner la soif, et tracer une route vers un puits. Alors seulement se proposeraient à lui des démarches qui ne manqueraient plus de signification. Délivrer une pierre ne signifie rien s’il n’est point de pesanteur. Car la pierre, une fois libre, n’ira nulle part.
    Or ma civilisation a cherché à fonder les relations humaines sur le culte de l’Homme au-delà de l’individu, afin que le comportement de chacun vis-à-vis de soi-même ou d’autrui ne soit plus conformisme aveugle aux usages de la termitière, mais libre exercice de l’amour.
    La route invisible de la pesanteur délivre la pierre. Les pentes invisibles de l’amour délivrent l’homme. Ma civilisation a cherché à faire de chaque homme l’Ambassadeur d’un même prince. Elle a considéré l’individu comme chemin ou message de plus grand que lui-même, elle a offert à la liberté de son ascension des directions aimantées.
    Je connais bien l’origine de ce champ de forces. Durant des siècles ma civilisation a contemplé Dieu à travers les hommes. L’homme était créé à l’image de Dieu. On respectait Dieu en l’homme. Les hommes étaient frères en Dieu. Ce reflet de Dieu conférait une dignité inaliénable à chaque homme. Les relations de l’homme avec Dieu fondaient avec évidence les devoirs de chacun vis-à-vis de soi-même ou d’autrui.
    Ma civilisation est héritière des valeurs chrétiennes. Je réfléchirai sur la construction de la cathédrale, afin de mieux

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