Pilote de guerre
y grandir l’Homme.
Nous avons, ainsi, perdu l’Homme. Et, perdant l’Homme, nous avons vidé de chaleur cette fraternité elle-même que notre civilisation nous prêchait – puisqu’on est frère en quelque chose et non frère tout court. Le partage n’assure pas la fraternité. Elle se noue dans le seul sacrifice. Elle se noue dans le don commun à plus vaste que soi. Mais, confondant avec un amoindrissement stérile cette racine de toute existence véritable, nous avons réduit notre fraternité à ne plus être qu’une tolérance mutuelle.
Nous avons cessé de donner. Or si je prétends ne donner qu’à moi-même je ne reçois rien, car je ne bâtis rien dont je sois, et donc ne suis rien. Si l’on vient ensuite exiger de moi que je meure pour des intérêts, je refuserai de mourir. L’intérêt d’abord commande de vivre. Quel est l’élan d’amour qui paierait ma mort ? On meurt pour une maison. Non pour des objets et des murs. On meurt pour une cathédrale. Non pour des pierres. On meurt pour un peuple. Non pour une foule. On meurt par amour de l’Homme, s’il est clef de voûte d’une Communauté. On meurt pour cela seul dont on peut vivre.
Notre vocabulaire semblait presque intact, mais nos morts, qui s’étaient vidés de substance réelle, nous conduisaient, si nous prétendions en user, vers des contradictions sans issue. Nous en étions réduits à fermer les yeux sur ces litiges. Nous en étions réduits, faute de savoir bâtir, à laisser les pierres en vrac dans le champ, et a parler de la Collectivité, avec prudence, sans bien oser préciser ce dont nous parlions, car en effet nous ne parlions de rien. Collectivité est mot vide de signification tant que la Collectivité ne se noue pas en quelque chose. ! Une somme n’est pas un Être.
Si notre Société pouvait encore paraître souhaitable, si l’Homme y conservait quelque prestige, c’est dans la mesure où la civilisation véritable, que nous trahissions par notre ignorance, prolongeait encore sur nous son rayonnement condamné, et nous sauvait, malgré nous-mêmes.
Comment nos adversaires auraient-ils compris ce que nous ne comprenions plus ? Ils n’ont vu de nous que ces pierres en vrac. Ils ont tenté de rendre un sens à une Collectivité que nous ne savions plus définir, faute de nous souvenir de l’Homme.
Les uns sont allés, du premier coup, allègrement, jusqu’aux conclusions les plus extrêmes de la logique. De cette collection ils ont fait une collection absolue. Les pierres doivent être identiques aux pierres. Et chaque pierre règne seule sur soi-même. L’anarchie se souvient du culte de l’Homme mais l’applique, avec rigueur, à l’individu. Et les contradictions qui naissent de cette rigueur sont pires que les nôtres.
D’autres ont rassemblé ces pierres répandues en vrac dans le champ. Ils ont prêché les droits de la Masse. La formule ne satisfait guère. Car s’il est, certes, intolérable qu’un seul homme tyrannise une Masse – il est tout aussi intolérable que la Masse écrase un seul homme.
D’autres se sont emparés de ces pierres sans pouvoir et, de cette somme, ont fait un État. Un tel État ne transcende pas non plus les hommes. Il est également l’expression d’une somme. Il est pouvoir de la Collectivité déléguée aux mains d’un individu. Il est règne d’une pierre, laquelle prétend s’identifier aux autres, sur l’ensemble des pierres. Cet État prêche clairement une morale du Collectif que nous refusons encore, mais vers laquelle nous nous acheminons, nous-mêmes, lentement, faute de nous souvenir de l’Homme qui, seul, justifierait notre refus.
Ces fidèles de la nouvelle religion s’opposeront à ce que plusieurs mineurs risquent leur vie pour le sauvetage d’un seul mineur enseveli. Car le tas de pierres, alors, est lésé. Ils achèveront le grand blessé, s’il alourdit l’avance d’une armée. Le bien de la Communauté, ils l’étudieront dans l’arithmétique – et l’arithmétique les gouvernera. Ils y perdront de se transcender en plus grand qu’eux-mêmes. Ils haïront, en conséquence, ce qui diffère d’eux, puisqu’ils ne disposeront de rien, au-dessus de soi, en quoi se confondre. Toute coutume, toute race, toute pensée étrangère leur deviendra nécessairement un affront. Ils ne disposeront point du pouvoir d’absorber, car pour convertir l’Homme en soi, il convient, non de l’amputer, mais de l’exprimer à
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