Pilote de guerre
la défaite sur d’autres que lui. Il se dit : « Moi, Hochedé, moi de France, j’ai été faible. La France de Hochedé a été faible. J’ai été faible en elle et elle faible en moi. » Hochedé sait bien que, s’il se retranche d’avec les siens, il ne glorifiera que lui seul. Et, dès lors, il ne sera plus le Hochedé d’une maison, d’une famille, d’un Groupe, d’une patrie. Il ne sera plus que le Hochedé d’un désert.
Si j’accepte d’être humilié par ma maison, je puis agir sur ma maison. Elle est de moi, comme je suis d’elle. Mais, si je refuse l’humiliation, la maison se démantibulera comme elle voudra, et j’irai seul, tout glorieux, mais plus vain qu’un mort.
Pour être, il importe d’abord de prendre en charge. Or, voici quelques heures à peine, j’étais aveugle. J’étais amer. Mais je juge plus clairement. De même que je refuse de me plaindre des autres Français, depuis que je me sens de France, de même je ne conçois plus que la France se plaigne du monde. Chacun est responsable de tous. La France était responsable du monde. La France eût pu offrir au monde la commune mesure qui l’eût uni. La France eût pu servir au monde de clef de voûte. Si la France avait eu saveur de France, rayonnement de France, le monde entier se fût fait résistance à travers la France. Je renie désormais mes reproches au monde. La France se devait de lui servir d’âme, s’il en manquait.
La France eût pu rallier à soi. Mon Groupe 2/33 s’est offert successivement comme volontaire pour la guerre de Norvège, puis de Finlande. Que représentaient la Norvège et la Finlande pour les soldats et les sous-officiers de chez moi ? Il m’a toujours semblé qu’ils acceptaient, confusément, de mourir pour un certain goût des fêtes de Noël. Le sauvetage de cette saveur-là, dans le monde, leur semblait justifier le sacrifice de leur vie. Si nous avions été le Noël du monde, le monde se fût sauvé à travers nous.
La communauté spirituelle des hommes dans le monde n’a pas joué en notre faveur. Mais, en fondant cette communauté des hommes dans le monde, nous eussions sauvé le monde et nous-mêmes. Nous avons failli à cette tâche. Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous. Je comprends pour la première fois l’un des mystères de la religion dont est sortie la civilisation que je revendique comme mienne : « Porter les péchés des hommes…» Et chacun porte tous les péchés de tous les hommes.
XXV
Qui voit là une doctrine de faible ? Le chef est celui qui prend tout en charge. Il dit : J’ai été battu. Il ne dit pas : Mes soldats ont été battus. L’homme véritable parle ainsi. Hochedé dirait : Je suis responsable.
Je comprends le sens de l’humilité. Elle n’est pas dénigrement de soi. Elle est le principe même de l’action. Si, dans l’intention de m’absoudre, j’excuse mes malheurs par la fatalité, je me soumets à la fatalité. Si je les excuse par la trahison, je me soumets à la trahison. Mais si je prends la faute en charge, je revendique mon pouvoir d’homme. Je puis agir sur ce dont je suis. Je suis part constituante de la communauté des hommes.
Il est donc quelqu’un en moi que je combats pour me grandir. Il a fallu ce voyage difficile pour que je distingue ainsi en moi, tant bien que mal, l’individu que je combats de l’homme qui grandit. Je ne sais ce que vaut l’image qui me vient, mais je me dis : l’individu n’est qu’une route. L’Homme qui l’emprunte compte seul.
Je ne puis plus me satisfaire par des vérités de polémique. À quoi bon accuser les individus. Ils ne sont que voies et passages. Je ne puis plus rendre compte du gel de mes mitrailleuses par des négligences de fonctionnaires, ni de l’absence des peuples amis par leur égoïsme. La défaite, certes, s’exprime par des faillites individuelles. Mais une civilisation pétrit les hommes. Si celle dont je me réclame est menacée par la défaillance des individus j’ai le droit de me demander pourquoi elle ne les a pas pétris autres.
Une civilisation, comme une religion, s’accuse elle-même si elle se plaint de la mollesse des fidèles. Elle se doit de les exalter. De même si elle se plaint de la haine des infidèles. Elle se doit de les convertir. Or, la mienne qui, autrefois, a fait ses preuves, qui a enflammé ses apôtres, brisé les violents, libéré des peuples
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