Pilote de guerre
lui-même, d’offrir un but à ses aspirations et un territoire à ses énergies. Convertir, c’est toujours délivrer. La cathédrale peut absorber les pierres, qui y prennent un sens. Mais le tas de pierres n’absorbe rien et, faute d’être en mesure d’absorber, il écrase. Ainsi en est-il – mais à qui la faute ?
Je ne m’étonne plus de ce que le tas de pierres, qui pèse lourd, l’ait emporté sur les pierres en vrac.
Cependant c’est moi qui suis le plus fort.
Je suis le plus fort si je me retrouve. Si notre Humanisme restaure l’Homme. Si nous savons fonder notre Communauté, et si, pour la fonder, nous usons du seul instrument qui soit efficace : le sacrifice. Notre Communauté, telle que notre civilisation l’avait bâtie, n’était pas, elle non plus, somme de nos intérêts – elle était somme de nos dons.
Je suis le plus fort, parce que l’arbre est plus fort que les matériaux du sol. Il les draine à lui. Il les change en arbre. La cathédrale est plus rayonnante que le tas de pierres. Je suis le plus fort parce que ma civilisation a seule pouvoir de nouer dans son unité, sans les amputer, les diversités particulières. Elle vivifie la source de sa force, en même temps qu’elle s’y abreuve.
J’ai prétendu à l’heure du départ recevoir avant de donner. Ma prétention était vaine. Il en était ici comme de la triste leçon de grammaire. Il faut donner avant de recevoir – et bâtir avant d’habiter.
J’ai fondé mon amour pour les miens par ce don du sang, comme la mère fonde le sien par le don du lait. Là est le mystère. Il faut commencer par le sacrifice, pour fonder l’amour. L’amour, ensuite, peut solliciter d’autres sacrifices, et les employer à toutes les victoires. L’homme doit toujours faire les premiers pas. Il doit naître avant d’exister.
Je suis revenu de mission ayant fondé ma parenté avec la petite fermière. Son sourire m’a été transparent et, à travers lui, j’ai vu mon village. À travers mon village, mon pays. À travers mon pays, les autres pays. Car je suis d’une civilisation qui a choisi l’Homme pour clef de voûte. Je suis du Groupe 2/33 qui souhaitait combattre pour la Norvège.
Il se peut qu’Alias, demain, me désigne pour une autre mission. Je me suis habillé, aujourd’hui, pour le service d’un dieu à l’égard duquel j’étais aveugle. Le tir d’Arras a brisé l’écorce et j’ai vu. Tous ceux de chez moi ont vu de même. Si donc je décolle à l’aube, je connaîtrai ce pourquoi je combats encore.
Mais je désire me souvenir de ce que j’ai vu. J’ai besoin d’un Credo simple pour me souvenir.
Je combattrai pour la primauté de l’Homme sur l’individu – comme de l’universel sur le particulier.
Je crois que le culte de l’Universel exalte et noue les richesses particulières – et fonde le seul ordre véritable, lequel est celui de la vie. Un arbre est en ordre, malgré ses racines qui diffèrent des branches.
Je crois que le culte du particulier n’entraîne que la mort – car il fonde l’ordre sur la ressemblance. Il confond l’unité de l’Être avec l’identité de ses parties. Et il dévaste la cathédrale pour aligner les pierres. Je combattrai donc quiconque prétendra imposer une coutume particulière aux autres coutumes, un peuple particulier aux autres peuples, une race particulière aux autres races, une pensée particulière aux autres pensées.
Je crois que la primauté de l’Homme fonde la seule Égalité et la seule Liberté qui aient une signification. Je crois en l’égalité des droits de l’Homme à travers chaque individu. Et je crois que la Liberté est celle de l’ascension de l’Homme. Égalité n’est pas Identité. La Liberté n’est pas l’exaltation de l’individu contre l’Homme. Je combattrai quiconque prétendra asservir à un individu – comme à une masse d’individus – la liberté de l’Homme.
Je crois que ma civilisation dénomme Charité le sacrifice consenti à l’Homme, afin d’établir son règne. La charité est don à l’Homme, à travers la médiocrité de l’individu. Elle fonde l’Homme. Je combattrai quiconque, prétendant que ma charité honore la médiocrité, reniera l’Homme et, ainsi, emprisonnera l’individu dans une médiocrité définitive.
Je combattrai pour l’Homme. Contre ses ennemis. Mais aussi contre moi-même.
XXVIII
J’ai rejoint les camarades. Nous devions nous retrouver tous vers
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