Potion pour une veuve
trouver le noble Bernat de Relat en personne entouré d’une armée de scribes et chargeant lui-même les navires, dit-il. La plupart seraient restés au lit et auraient confié cette tâche à un adjoint et au capitaine.
Effectivement, le trésorier de Sa Majesté la reine se trouvait au centre d’un groupe de manœuvres. À ses côtés, un enfant d’une dizaine d’années tenait à la main un grand manuscrit, ouvert sur la dernière section d’une longue liste de marchandises.
— Connaissez-vous une autre façon, seigneur Oliver, de s’assurer que chaque objet commandé sera reçu par Sa Majesté ?
— C’est vrai, il n’y en a pas. Sinon, des biens de valeur passent mystérieusement par-dessus bord, pour se retrouver la semaine suivante sur la table des débardeurs ou les épaules de leurs femmes.
— S’il devait en aller ainsi des possessions de Sa Majesté, les responsables le paieraient très cher, vous pouvez m’en croire, dit Relat avec froideur.
— Accompagnerez-vous personnellement ce vaisseau, Don Bernat ? Ou allez-vous envoyer votre jeune aide ?
— Mon fils est aussi rusé que certains, dit Relat en tapotant l’épaule de l’enfant. Il s’occupera des listes la prochaine fois. Mon représentant veille sur la cargaison. Et il n’est pas aussi tendre que moi, ajouta-t-il avec un sourire plein de sous-entendus. Vous pouvez être certain qu’il prendra grand soin de tout. Y compris de votre maîtresse Clara.
— Elle n’est pas mienne, Don Bernat, s’empressa de répondre Oliver. Mais pourquoi lui avoir demandé si elle était habile à manier l’aiguille ?
— Sa Majesté la reine confie la garde-robe royale à ses dames de compagnie, expliqua Relat, et dans une lettre récente, elle s’est plainte de l’absence de couturières confirmées. Je voulais m’assurer de la compétence de maîtresse Clara.
— Ah, je comprends à présent, dit Oliver en riant. Mais j’aimerais vous demander une faveur – à vous et à votre représentant.
— Vous voir mon obligé sera chose nouvelle, seigneur Oliver. Demandez, et si c’est possible, ce sera fait.
— Merci. Cette lettre pourrait-elle être transmise à Sa Majesté dès que le navire entrera au port ? J’en suis l’auteur.
— Voilà une modeste requête, me semble-t-il. Rien d’autre ? Le transport sur la galée de plusieurs bêtes sauvages ? D’autres missives ?
— Elles sont dans le courrier officiel. Mais puis-je vous présenter quelqu’un, Don Bernat ? Voici le pupille de Sa Majesté le roi, Yusuf ibn Hasan, qui va servir en Sardaigne. En tant que page.
— Nous prendrons grand soin de lui, de maîtresse Clara et de la lettre, dit Relat.
Il adressa un signe de tête à Yusuf puis, avec un regard excédé, les abandonna pour régler le différend qui semblait avoir surgi entre un acconier à l’air pugnace et un scribe patient : ce dernier cherchait à empêcher ledit patron de quitter le rivage tant que son bateau ne serait pas complètement rempli.
— Il a l’air fatigué et assez mal à l’aise, fit remarquer Yusuf.
— Je pense qu’il a passé toute la nuit à vérifier des cargaisons. Toutes ces marchandises sont destinées à Sa Majesté, et il en est le seul responsable.
La galée était plus propre au transport de marchandises que de passagers, pourtant de plus en plus de monde apparaissait sur le rivage. Un groupe de trois dominicains et un serviteur portant un lourd coffre sur son dos arrivèrent alors : les habits immaculés de l’ordre des Frères prêcheurs étaient éblouissants, presque autant que le sable clair et la mer scintillante. Oliver remarqua à peine leur présence – des dominicains en déplacement étaient une chose assez commune – jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent près de Yusuf, en conversation avec Clara et Mundina.
Les dominicains lui parurent soudain intéressants. Oliver se dirigea vers les charrettes, s’en écarta et s’arrêta près des religieux. Il se pencha comme pour ramasser un objet dans le sable.
— Bonjour, pères, dit-il en se relevant. Embarquez-vous sur ce bateau ?
— Pas tous, répondit le plus âgé des trois. Seulement le père Crispiá ici présent. Nous ne faisons que l’accompagner pour nous assurer qu’il monte à bord en toute sécurité.
— Et j’en remercie mes frères, dit l’intéressé.
C’était un homme grand et mince, au nez aquilin, aux yeux vifs et sombres.
— Venez-vous avec
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