Potion pour une veuve
le membre malade.
Il fit courir ses doigts sur le bras, de la main à l’aisselle, doucement d’abord, puis en exerçant davantage de pression. Il se pencha et écouta longuement les battements de son cœur.
— De quelle couleur est le bras ? dit-il en se redressant.
— Je vois mal, mais tout l’avant-bras semble rouge et enflé, dit Raquel. La putréfaction s’étend, se permit-elle d’ajouter.
— Effectivement, je le sens. Ce soir, nous allons poser un drain et nettoyer du mieux possible. Un chirurgien nous dirait s’il y a de l’espoir, mais cette discussion attendra demain matin.
— Vous ne paraissez pas très optimiste, papa.
— Une fois commencé, ce genre de chose est assez difficile à arrêter. La partie supérieure du bras n’a pas la consistance voulue.
Raquel enserra le membre de ses doigts. Il était chaud, curieusement résistant au toucher.
— Vous avez raison, papa. Commencerons-nous ?
Pendant tout l’examen, l’homme couché dans le lit avait semblé dormir ou ne rien comprendre à ce qui lui arrivait. Soudain, il tenta de se redresser.
— Il faut y aller ! s’écria-t-il. Oui, il faut y aller !
— Il n’est pas d’ici, fit remarquer Raquel tout en aidant Judah à sortir les produits nécessaires à la préparation d’un mélange apaisant.
— C’est évident, sinon il ne séjournerait pas à l’auberge.
— Oui. Il vient d’Aragon, n’est-ce pas ?
— C’est possible.
Le patient eut une série de soubresauts avant de lever son bras malade. Raquel le lui prit à deux mains et le replaça sur le lit.
— Allons, dit-elle, calmez-vous. Nous sommes ici pour nous occuper de vous.
— Maître, cria-t-il, aidez-moi ! Maître Geraldo, venez m’aider. Je n’y arriverai pas tout seul !
Il s’affaissa, haletant.
— Il a fait ça toute la journée, dit la tenancière qui venait d’apparaître en haut de l’escalier. C’est pour ça que je vous ai envoyé chercher. J’avais pas envie de l’entendre brailler sans arrêt. Vous pouvez pas lui donner quelque chose pour qu’il reste tranquille jusqu’à ce qu’il meure ? suggéra-t-elle. J’ai essayé l’eau-de-vie, mais il en a pas voulu.
— Sauvez-moi, maître ! cria l’homme couché sur le lit. Aidez-moi !
— Apporte-nous de l’eau chaude, la mère, dit Isaac, et nous ferons de notre mieux.
La tenancière appela le gamin d’une voix criarde et redescendit au rez-de-chaussée.
Raquel mêla l’eau, le vin, le sucre et quatre gouttes d’une substance noire et amère, puis elle fit doucement couler la mixture dans la gorge de l’homme. Après un instant, ses membres se détendirent. De sa lancette, elle creva l’abcès, libérant une grande quantité de matière putride que Judah nettoya courageusement. Elle lava la blessure avec du vin, la recouvrit d’huile et d’herbes pour empêcher le retour de l’infection, la banda, puis fit à nouveau boire le blessé.
Il ouvrit les yeux et regarda autour de lui sans comprendre où il se trouvait.
— Je vous en prie, avertissez mon maître.
— Qui est votre maître ? fit Raquel en se penchant vers lui. Dites-le-moi, et je le mettrai au courant.
— Tout le monde le connaît. Oui, tout le monde connaît mon maître…
Sur quoi, il ferma les yeux et s’endormit.
CHAPITRE IX
La foule rassemblée sur le port était considérable pour une heure aussi matinale. La ville somnolait encore dans l’obscurité, mais, au bord de l’eau, une lune décroissante et l’aube toute proche procuraient assez de lumière pour s’affairer. À l’est, l’horizon se définissait déjà par des lambeaux de nuages rosés qui séparaient la mer noire du ciel virant au gris.
La plupart des hommes étaient des débardeurs faisant le va-et-vient entre des charrettes lourdement chargées et les accons, embarcations à fond plat tirées jusqu’au rivage. Un greffier sobrement vêtu muni d’une liste détaillée se tenait auprès de chaque charrette pour noter l’enlèvement des tonneaux, sacs, coffres et autres paquets. Près de chaque bateau, un autre greffier notait avec soin tout ce qui montait à bord.
Quand arriva le petit groupe venu de Gérone, le ciel avait déjà viré au bleu et le soleil projetait ses premiers rayons sur les mâts d’une galée à l’ancre en eau plus profonde. Oliver mit pied à terre, dit au palefrenier de ramener les chevaux et chercha le responsable des opérations.
— Je ne m’attendais pas à
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