Potion pour une veuve
nous ? demanda le frère.
Son accent du Sud et son teint hâlé suggéraient des royaumes lointains, Grenade peut-être.
— Je suis moi aussi venu accompagner mes amis, répondit Oliver. Je crois que nous n’aurons plus à attendre longtemps.
— On nous a priés de nous trouver ici avant prime, dit d’un ton acerbe le doyen des dominicains. Et nous voici.
— Ils continuent de charger les marchandises dans la cale, dit le plus jeune frère, captivé par la scène.
Oliver remarqua qu’il y avait encore plus de monde – des amis et des curieux pour qui le spectacle des acconiers et des débardeurs, des greffiers et des passagers, du chargement et du départ d’un vaisseau, allait constituer le point fort de la journée. Les trois personnes dont il était responsable disparaissaient dans une mer humaine.
— Seigneur Oliver, l’interrompit une voix familière. Vous avez changé de tenue et de livrée. Nous accompagnerez-vous en Sardaigne ?
Oliver se retourna pour découvrir le jeune Robau, rencontré peu avant sur la route. Il secoua la tête.
— Non, señor. Mais votre père et vous-même ne deviez-vous pas partir hier ?
— Effectivement, seigneur Oliver, répondit Gueralt de Robau. Jusqu’à ce que mon père se rappelle qu’il restait encore une affaire importante à régler. Il m’a prié de m’en charger et m’a réservé une place sur le vaisseau de Sa Majesté la reine.
— Nul doute que le jeune Yusuf appréciera d’avoir de la compagnie, dit Oliver, qui aperçut ceux dont il avait la charge.
Il se hâta de les rejoindre avant de les perdre une fois encore dans la marée humaine.
— Non, maître Isaac, fort heureusement, Son Excellence se porte à merveille aujourd’hui, dit Bernat sa Frigola, le secrétaire de l’évêque. Mais elle désirait que vous vous joigniez à elle parce que les hommes ayant escorté le jeune Yusuf à Barcelone venaient de revenir. Ils vous attendent dans la petite salle de réception.
Isaac fut conduit dans une pièce fraîche, haute de plafond, où Berenguer, le capitaine, le sergent, Bernat et deux scribes étaient installés à une longue table.
— Maître Isaac, dit le sergent après avoir brièvement donné des nouvelles de la santé de Yusuf, je crains que nous n’ayons failli à l’un de nos devoirs.
— Et quel est-il ? demanda Isaac.
— Chargés comme nous l’étions, nous avons oublié derrière nous un grand pot de terre qui appartenait à votre femme. Il a été remplacé. J’espère qu’elle trouvera le nouveau à sa convenance.
— Vous aviez certainement assez de place pour un pot, non ? dit Berenguer amusé.
— Pas jusqu’à ce que les gardes quittent leurs montures et que nous chargions les bagages sur les chevaux. Pour reposer ses jambes, j’ai dû ne rien faire porter à cette pauvre Golondrina. Au retour, notre fardeau était assez léger : les épices et soieries ne pèsent pas grand-chose.
— À présent, dites-moi ce que vous savez de Robau, sergent. Le seigneur Oliver m’a écrit à propos du père et du fils. Il était inquiet, me semble-t-il.
— Asbert de Robau est un digne chevalier connu de tous, Votre Excellence, répondit le sergent.
— J’en suis conscient, fit Berenguer.
— Oui, Votre Excellence. Je n’ai eu aucune raison de changer d’avis à son propos. Mais son fils m’a mis mal à l’aise. Il s’intéressait trop vivement au jeune Yusuf et à la raison de sa présence parmi nous. Au seigneur Oliver, également. Ce jeune gentilhomme posait tant de questions qu’on l’imaginait mieux en train d’arranger le mariage de sa sœur que de bavarder innocemment avec des personnes rencontrées en chemin.
— Peut-être trouvait-il pesante la présence de son père. Il cherchait de la compagnie, rien de plus.
— C’est ce que j’ai d’abord pensé, Votre Excellence, mais il a continué, et cela ne m’a pas plu. Pas du tout.
— Vous avez un certain flair pour la vilenie, Domingo, dit le capitaine. Si nous croisons à nouveau ce Gueralt de Robau, nous le surveillerons avec intérêt. Avez-vous d’autres choses à signaler ? Nous avons déjà parlé de la jeune orpheline recueillie par le seigneur Oliver.
La conversation dévia sur les spéculations relatives à Clara, puis la réunion prit fin.
— Avant de m’en aller, Votre Excellence, dit Isaac, je dois vous signaler que nous avons soigné un étranger la nuit dernière dans l’auberge de la mère
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