Potion pour une veuve
et Yusuf se retrouva seul, à sa grande horreur, avec un prêtre dominicain. Ce dernier était assis sur un banc proche de l’une des ouvertures : il regardait le plancher sous ses pieds et réfléchissait, priait peut-être.
Yusuf tenta d’échapper à l’attention du prêtre et s’approcha d’une autre ouverture afin d’observer l’activité portuaire.
— Bonjour, jeune messire, lui dit le prêtre. Vous me semblez mal à l’aise. Ce n’est pas un logement des plus spacieux, mais je vous assure que l’on peut s’installer très confortablement à bord d’une galée.
— C’est la première fois que je voyage sur un tel navire, dit Yusuf qui se tourna malgré lui vers son interlocuteur. Mon père, ajouta-t-il.
— On m’a dit que vous vous nommiez Yusuf. Je m’appelle Crispiá. J’ai également appris que nous ne sommes que six passagers et que nous comptons deux femmes parmi nous. Ce qui signifie que nous pourrons monter sur le pont dès que nous aurons appareillé. Si les vents nous sont favorables.
— Vous avez souvent navigué, mon père ?
— Bien des fois, dit le père Crispiá en regardant l’horizon à travers l’ouverture. Je suis arrivé ici par la mer, il y a plusieurs années, et j’ai beaucoup voyagé depuis. D’où venez-vous, si je puis me permettre, Yusuf ?
— Du Sud, dit l’enfant avec prudence.
— C’est ce que je pensais. Une légère intonation dans votre façon de parler… très légère. Moi aussi, j’ai grandi avec votre langue, et maintenant, grâce à la bonté de Sa Majesté, je me rends en Sardaigne.
— Pour y faire la guerre ? demanda Yusuf étonné.
— Nullement. J’y vais dans un autre but, dit-il avec un sourire.
Il y eut un cri au-dessus d’eux, répété par une autre voix.
— C’était quoi ? demanda Yusuf.
— Nous nous préparons à partir. Les passagers représentent la partie la plus délicate de la cargaison et sont amenés en dernier. Ce grincement sourd, c’était le bruit de l’ancre qu’on remonte. On ne peut la voir d’ici, ajouta-t-il, mais à bord d’un bateau, on entend tout, et quand on a appris le sens de chaque chose, on sait ce qui se passe aussi bien que les hommes montés sur le pont.
— C’est comme mon maître, qui est aveugle mais en sait plus sur le monde que la plupart de ceux qui jouissent de leurs yeux.
Un autre cri retentit, repris par une seconde voix.
— Les rameurs sont prêts, lui apprit le prêtre. Dans un instant, nous verrons leurs avirons, et nous pourrons quitter le port.
Un dernier cri, et les pelles des avirons resplendirent devant l’ouverture. Yusuf se mit à genoux sur le banc et les regarda longuement.
— Pourquoi frappent-ils l’eau en des endroits différents ? Certains très près, d’autres, plus loin ?
— Vous aurez remarqué que les bancs des rameurs sont inclinés, dit le dominicain.
— Oui, mon père, répondit Yusuf qui n’avait rien remarqué du tout.
— De cette façon, trois hommes peuvent prendre place côte à côte sur un même banc sans que leurs avirons ne se heurtent. Ceux assis près de l’allée exercent leur action sur des manches plus longs que leurs compagnons installés plus près de l’eau. Ainsi, chacun frappe une surface liquide différente. On m’a dit qu’ils travaillaient mieux ainsi et plus rapidement.
— Avez-vous déjà ramé ? demanda Yusuf, qui s’étonnait, ou plutôt trouvait suspectes les connaissances de cet homme.
— Non. Grâce au ciel. Dieu ne m’a jamais imposé pareille épreuve. Je ne suis ni un rameur ni un soldat, pas même, je le crains, sur le champ de bataille divin. Je laisse ces activités à ceux qui en ont les capacités et cherche à faire de mon mieux en tant que lettré.
— Vous êtes un érudit ?
— J’ai toujours été très curieux, même lorsque j’étais plus jeune que vous. Il fut décidé que j’étudierais. Et vous, à quoi vous a-t-on formé ?
Yusuf fit de son mieux pour expliquer le plus vaguement possible son double rôle dans l’existence.
— Quand nous attendions sur la grève, j’ai entendu dire que vous étiez le pupille de Sa Majesté. Et voilà que vous vous rendez à ses côtés quand l’on a besoin de vous. C’est très louable.
— Je ne suis pas certain de pouvoir aider Sa Majesté au combat. Je ne suis pas aussi habile au maniement de l’épée que je le souhaiterais.
— La Sardaigne est connue depuis toujours pour son climat malsain,
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