Potion pour une veuve
fit quérir sa nouvelle protégée et la poussa vers la table où était étalé le tissu.
— Voilà. Il vous faut un habit de rechange et d’autres choses encore, puisque vous êtes arrivée les mains vides.
— D’où vient-elle ? demanda Clara qui palpait l’étoffe. C’est merveilleux.
— Ma mère ne cesse de m’offrir des pièces de tissu pour que je me confectionne des robes de noces, murmura Tomasa. Docilement, je lui obéis. J’en ai déjà six. C’est suffisant. Elle oublie à chaque fois.
— Six ? s’écria Clara. Et vous ne les avez jamais portées ?
— Non, j’ai déjà tout ce qu’il me faut.
— Un tel travail… Comment vous y prenez-vous ? À moins que votre suivante ne s’en charge ?
— Certainement pas. Je suis assez habile. Venez voir.
Dans le coffre de Tomasa, tout au fond, se trouvaient deux robes de la plus belle soie.
— Regardez, dit-elle en en prenant une, n’est-ce pas charmant ?
— Pourquoi les avoir toutes apportées ? Vous envisagez de vous marier en Sardaigne ?
— Non, fit Tomasa en riant, même si j’y suis prête, n’est-ce pas ? Je suis censée les broder pendant ce séjour. Mais c’est une chose que je ne maîtrise pas trop. Je ne parviens pas à imaginer des motifs ou à travailler sans emmêler mes fils. Tenez, là. J’ai voulu poser un feston autour de l’encolure. Ce n’est vraiment pas beau.
— Laissez-moi m’en occuper. Et si cela ne vous plaît pas, j’enlèverai ce que j’ai fait. Très soigneusement.
C’est ainsi que, pendant que Tomasa préparait une robe pour Clara, celle-ci transforma le motif simpliste du feston en animaux sauvages échappés d’un bouquet de fleurs. Quand elle eut achevé le premier, sur la partie droite du corsage, elle le présenta à Tomasa.
Son cri d’admiration rameuta toutes les femmes.
— Regardez, c’est un lion entouré de fleurs. Et il sourit !
— C’est parce que c’est une robe de mariage, expliqua Clara.
Dès lors, la garde-robe de Clara devint la préoccupation de toutes. Et l’on reconnut qu’une jeune fille si intelligente, si talentueuse et si bien éduquée ne pouvait qu’être issue d’une bonne famille – quel que fût le mystère entourant son passé – et par conséquent prise en pitié.
— Toute sa famille a été massacrée par des étrangers et son château détruit par le feu. Seules Doña Clara et sa suivante ont pu s’échapper et implorer la pitié de notre reine, qui connaissait bien ses parents, expliqua à voix basse Doña Tomasa. Elle n’ose pas dire son nom, car il y a ici même des brutes qui cherchent à la détruire dans le but de s’emparer de tout ce que sa famille possédait. Mais Sa Majesté la reine sait parfaitement qui elle est. Un de mes parents m’a écrit à son sujet en me demandant de lui témoigner de la bonté… sans révéler son identité toutefois.
Chacune des dames de compagnie proposa son aide à la jeune fille.
— Qu’avez-vous dit à mon propos, si je puis me permettre de vous le demander ? dit Clara.
Tomasa ne put s’empêcher de rire.
— C’est à cause du motif que vous avez brodé. Il est si riche et si élégant qu’elles en ont conclu que vous étiez de la plus haute noblesse. Mais j’ignore toujours ce qu’il en est, ajouta-t-elle.
Les jours passèrent, et le lion souriant fut rejoint, sur le pan gauche, par une lionne élégante à la queue enroulée : allongée sur un lit de fleurs, elle tendait une patte vers le lion. Clara s’occupa à ajouter des fleurs et, entre elles, la tête de petits animaux où l’on pouvait deviner des souris, un lièvre, un chat, un furet et un agneau bouclé à souhait.
Clara s’affairait encore sur la robe de mariée de Doña Tomasa quand la reine retrouva ses dames. Elle semblait encore plus frêle, et le manque de sommeil avait creusé ses yeux, mais elle rit de bon cœur à une plaisanterie, et l’ambiance se détendit. La santé du roi s’améliorait – la nouvelle s’était répandue plus tôt dans le camp et, avec la présence de la reine, on pouvait enfin y croire.
Quand Sa Majesté la reine se fut retirée dans ses appartements, Clara sortit pour échapper à la chaleur de la tente. Un groupe de dames étaient assises à l’ombre, mais leurs voix criardes lui faisaient mal aux oreilles et leurs rires aigus la tourmentaient. Elle préférait entendre une cuisinière se plaindre de la pingrerie de sa maîtresse que d’apprendre qui
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