Potion pour une veuve
señor.
— Et ces lettres vous donneront accès auprès du gouverneur et de l’archevêque de Valence, ajouta-t-il en poussant vers lui deux missives soigneusement pliées portant le sceau royal. Celle-ci est pour le Prince, son oncle. J’ai un seul conseil à vous donner, et il est d’importance : ne confiez rien à l’écrit.
— Je comprends, señor.
— Parfait. Je vous souhaite bon vent et bonne route.
Il faisait nuit noire. Yusuf empruntait une fois de plus le chemin qui le ramenait à sa tente quand il perçut des murmures provenant de la colline. Entendre prononcer son nom par une voix familière l’immobilisa sur place.
— Mais, mon cher Don Manuel, disait Gueralt, je ne comprends pas ce qui vous bouleverse ainsi.
— Je vous l’ai dit, j’ai parlé à une autre personne présente dans la tente de Sa Majesté – pas à Yusuf, non –, et elle aussi m’a assuré que Sa Majesté était parfaitement remise. Qu’elle n’est en aucun cas à l’article de la mort.
— Ne vous êtes-vous pas dit que tous pouvaient mentir ? Par crainte ou par loyauté. Sa Majesté la reine ne souhaite pas faire savoir qu’elle sera bientôt veuve et que notre nouveau roi sera plus en âge de s’amuser avec des jouets que de traiter les affaires de l’État. Qu’adviendra-t-il de nous alors ?
— Mais Gueralt…
Yusuf, par inadvertance, fit craquer une branche.
— Il y a quelqu’un, je crois, fit Gueralt.
— Qu’il soit maudit, ce bâtard ivrogne, pour m’envoyer ainsi en pleine nuit ! s’écria Yusuf en contrefaisant sa voix.
Il lança son pied dans une pierre. Quand elle retomba à terre, il jura à nouveau et se cacha en silence derrière un buisson.
— Un valet, dit Gueralt. Retournons au camp.
Yusuf attendit que le calme fût revenu. Quand il regagna sa tente, tout le monde dormait.
L’excitation tira Yusuf de sa couche avant l’heure de l’embarquement. Ses affaires étaient déjà emportées et la tente était en ordre. Il vérifia les provisions puis déambula en silence entre les lits pour voir comment allaient ses patients. Il s’arrêta près du seigneur Pere.
— Holà, mon garçon ! dit le noble.
— Monseigneur, vous devriez dormir. Puis-je vous préparer une tisane ?
— Je suis las de tes excellentes tisanes, Yusuf. Je n’espère qu’une chose, c’est une coupe de bon vin.
— C’est que vous allez mieux, monseigneur.
— Tes amis si sournois ont traîné par ici la nuit dernière alors que tu étais sorti, dit Pere Boyll. J’ai feint de dormir pour les éviter.
— L’un d’eux est votre ami, monseigneur, pas le mien. Vous ne l’avez pas reconnu ?
— Le reconnaître ? C’est une plaie venue de l’enfer, oui !
— Don Manuel a été page chez votre père quand il avait sept ans, dit Yusuf. Il m’a dit que vous avez été très bon pour lui, il se sentait si seul…
— Un page ! Chez mon père ? C’est absurde.
— En êtes-vous certain, monseigneur ?
— Non. Dis-moi, d’où est-il originaire ?
— D’Empúries, selon lui.
— Empúries ! Mon père n’a jamais eu de page venu du Nord. Je n’en ai jamais vu. Nous ne sommes pas des souverains pour échanger des pages dans le cadre d’intrigues et d’alliances fluctuantes. Il a menti.
— Mais pourquoi mentir à ce sujet ?
— Ce ne sont pas nos affaires. Rends-toi dans la tente de Sa Majesté et raconte tout à quelqu’un de fiable. Mais réveille Marc avant de partir. Je ne souhaite pas qu’on me tranche la gorge.
— Peut-on lui faire confiance ?
— Il le faut, dit le seigneur Pere. Marc a l’air plus franc que la plupart. Et toi, Yusuf, marche sans bruit vers la tente royale.
Yusuf adressa une requête soigneusement préparée au garde placé devant la tente du roi. À son étonnement, ce fut Sa Majesté en personne qui l’accueillit quand celle-ci s’ouvrit.
— Tu souhaitais nous dire autre chose qu’adieu, Yusuf ? Si tel est le cas, faisons ensemble quelques pas, loin des oreilles indiscrètes.
Quatre soldats les suivirent à distance et Yusuf transmit son message, le plus brièvement possible.
Don Pedro secoua la tête.
— Le petit Don Manuel… Je suis surpris qu’il ait le cran de conspirer contre nous. C’est un maladroit, même en fourberie. Un tel mensonge se vérifie si facilement !
— Peut-être, Votre Majesté, pensait-il que le seigneur Pere allait bientôt mourir.
— Sans aucun doute. Et il attendait
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