Pour les plaisirs du Roi
meilleur accueil.
— Monsieur le comte, vos friandises me sont devenues bien précieuses, dit-il en donnant un tour de clé au tiroir d'un petit secrétaire dans lequel il venait de déposer la boîte de pastilles qui accompagnait toujours mes visites.
— Vous m'en voyez ravi. Elles sont des auxiliaires fidèles et lorsqu'on y a goûté, elles engagent à y revenir, répondis-je d'un air complice.
Je dois rappeler au lecteur distrait qu'il m'est positivement pénible de décrire les rapports cordiaux qu'il me fut forcé d'entretenir avec Dominique Lebel, attendu que cet être était un des plus fats de la Cour. Toujours plein de complaisance pour lui-même, il n'en avait pour personne. Peut-être même pas pour son maître. Mais la réussite de mon plan dépendait de ce laquais qui affectait un air de grand seigneur. Je l'encourageais souvent dans cette pantomime en lui demandant des nouvelles du roi comme s'il fût un de ses proches parents. Lebel prenait alors une mine grave, et, après avoir expliqué ne pouvoir se laisser aller à aucune confidence, il faisait tout le contraire :
— À vous, je peux bien le dire. Sa Majesté me donne parfois du souci, dit-il d'un ton presque fâché.
— On La dit très attristée de la mort du Dauphin.
— Elle a surtout de la langueur depuis la fin de Mme de Pompadour. Pour le reste, le Dauphin lui était tellement une énigme qu'il m'est avis que son chagrin serait plus grand s'il perdait une de ses filles.
— Personne n'a su remplacer la marquise dans son cœur ?
— Non, et j'y veille ! Elles sont nombreuses à soupirer pour entrer dans sa chambre, mais à son âge, on doit être raisonnable. Le cœur épuise l'âme : il faut au roi des plaisirs du corps. Pas plus. Des jeunesses qui nous…, je veux dire le délassent, se reprit ce fieffé lubrique.
— À ce propos, me lançai-je, j'abrite depuis peu une jeune personne qui pourrait trouver à s'employer auprès de vous.
— Ah ? répondit Lebel, d'un air faussement dégagé.
— Si fait. Le tableau que vous me faites de vos besoins m'engage même à penser que ma protégée saurait soulager quelques peines… de corps.
— Seulement celles-là ?
— Elle s'en est fait une spécialité.
— Quel âge a cette philanthrope ?
— Dix-huit printemps et une mine d'angelot – comme d'habitude, je la rajeunissais.
— Elle est déjà bien vieille pour Cupidon. À son âge, il prend garde où décocher ses flèches. Est-elle vierge ?
Je ne pouvais mentir sur ce fait sans risquer de compromettre les chances de Jeanne : l'expert Lebel se serait bien vite rendu compte de la supercherie. Je contournai l'obstacle :
— Je ne puis l'affirmer mais rien n'empêche de le penser car elle ne m'a jusqu'alors offert que son revers.
Les yeux de Lebel trahirent un intérêt. Il ne s'en montra pas moins prudent :
— D'où la connaissez-vous ?
— Vous savez comment le destin se plaît à nous faire plaisir parfois. Je l'ai rencontrée aux Tuileries. Quand je l'ai vue, j'ai été subjugué par tant d'innocence – je savais par où chatouiller cet animal.
— A-t-elle connu beaucoup d'hommes, hormis vous, bien sûr ?
— Elle est fraîche, j'en réponds.
— Mais elle a déjà dix-huit ans.
— Elle les fait si peu.
Lebel se tut quelques instants, comme pensif. Je le sentais indécis.
— Vous n'ignorez pas, monsieur le comte, le prix que j'attache à la sincérité de nos relations, reprit-il. Pour cela, je vous dirais que malgré le séduisant portrait de cette jeune personne, il m'ennuie d'enfreindre les exigences dont je me fais une loi. N'en soyez pas fâché. Rien n'est en cause, sauf son âge. Le roi n'a goût ces temps derniers qu'aux vraies jeunettes, encore tièdes. Elles sont souvent novices, certes, mais ne risquent pas de devenir indispensables.
Imaginez mon dépit. Ce bougre de Lebel devenait plus exigeant du pucelage de ses recrues qu'une mère supérieure ne l'est de ses ouailles. La peur de la maladie et le vice n'y étaient pas pour rien. Il ne servait à rien d'insister pour cette fois. Je pris congé en me jurant bien de ne plus tenter de convaincre ce cerbère avant longtemps. J'étais en colère et si j'avais été plus dévot, j'aurais déposé ce soir-là un cierge à Notre-Dame afin qu'on le rappelle à Dieu sur-le-champ. Mais vous allez croire que je lui voulais du mal.
Quelques jours après cette déconvenue, je reçus un billet qui ne fut pas sans me surprendre. Le prince de Conti
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