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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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qu'il faut connaître. Celles et ceux qui les ignorent sont comme des brebis perdues au cœur d'une forêt hantée par les loups. Pour en apprendre les chemins, il faut des bergers sûrs. On dit par exemple que c'est le cardinal de Bernis qui guida la Pompadour dans les méandres de ces usages compliqués. Je trouvai donc à Jeanne un maître en la matière. Un petit maître certes, mais qui avait l'avantage d'être du nombre de mes familiers.
    Le vieux M. de Saint-Rémy me rendit ainsi un dernier service, car je vous en préviens d'avance, il ne passa pas l'année 1766. Déjà très affaibli, il vint pourtant trois fois la semaine dans ma maison pour évoquer les fastes de la Cour, l'ancienne et la nouvelle. Cela plut à Jeanne qui rêvait comme toutes les jeunes filles de princes et de palais. Elle m'interrogeait souvent à ce sujet, regrettant que sa condition ne lui permette de pouvoir un jour admirer les merveilles de Versailles. Je lui répondais qu'elle s'y ennuierait sûrement, et qu'il y avait mieux à faire à Paris. Évidemment, vous pouvez imaginer ma mine lorsque je lui chantais cela. M. de Saint-Rémy ne lésina sur aucun détail pour dispenser à Jeanne la connaissance des coutumes de la Cour. Il lui parla de tout : des petits levers du roi, de l'étiquette, des ministres, de la reine, des princes du sang, et même des favorites. Saint-Rémy connaissait bien sûr mon commerce, – il en avait profité quelques fois au meilleur tarif –, mais ne se doutait pas de la position dont je rêvais pour son élève. D'ailleurs, il évoqua aussi le Parc-aux-Cerfs, mais sans en donner les détails, qu'il ignorait d'ailleurs. Jeanne fut vivement captivée, en particulier par ses descriptions des fêtes de Versailles, où il se donnait toujours un rôle dont vous savez bien maintenant qu'il était exagéré.
    Un jour, j'étais là, il lui décrivit même avec force anecdotes, la personnalité du roi. La chose m'amusa : j'observai du coin de l'œil l'intérêt de Jeanne pour la peinture de M. de Saint-Rémy. Elle se montra intéressée mais préféra ensuite qu'il lui décrive encore une fois le service des dames de compagnie de la reine. Jeanne n'était pas une ambitieuse. Aussi loin que ses rêves la portaient, elle s'imaginait en dame d'atours, en suivante, jamais en maîtresse. Cette innocence me plut : elle était de celles qui attirent généralement les faveurs du destin. Quelquefois, par jeu, Jeanne demandait qu'on l'interrogeât sur ce qu'elle avait appris. M. de Saint-Rémy, ému d'approcher une telle beauté au soir de sa vie, se prêtait à ce badinage, prenant des poses d'aïeul bienveillant, quoiqu'il lorgnât assez souvent dans le corsage de Jeanne. Le précepteur était content de son élève. Et il se peut bien qu'il ait emporté dans la tombe le visage de Jeanne puisqu'un matin, après lui avoir donné la leçon, il s'effondra dans la rue, sur le chemin de sa maison. Je n'ai jamais connu son âge, mais il devait avoir près de soixante-cinq ans.
    Bien qu'il se vantât de connaître personnellement la moitié des courtisans de Versailles, ses obsèques attirèrent à peine une dizaine de personnes, dont le très vieux marquis de Bouteville qui, souvenez-vous, nous hébergea dans ses appartements de Versailles. Ce brave homme s'était fait porter par deux domestiques car il ne pouvait plus marcher, et accompagna son ami jusqu'à sa dernière demeure sous une pluie battante. Sa fidélité fut récompensée : deux semaines plus tard, il le rejoignait, victime d'un fatal refroidissement. J'ai su cela par la chronique qu'on m'en a fait car je ne me rendis pas moi non plus à l'enterrement de M. de Saint-Rémy. Je signale au passage que les appartements de M. de Bouteville, enfin libres, furent donnés à un ami très proche de M. de Marigny, frère de Mme de Pompadour, preuve de la puissance de cette coterie malgré la disparition de son inspiratrice.
    Jeanne fut peinée de la mort de M. de Saint-Rémy, mais je le remplaçai avantageusement par deux maîtres de grammaire et de géographie, en même temps qu'il me parut utile de faire venir un maître de danse pour la perfectionner sur ce point. Je trouvai un Italien très versé dans cette science, qui apprit à Jeanne les règles essentielles d'un art que je prise beaucoup. Bref, en quelque temps, tous ces enseignements commencèrent à étoffer la conversation autant que le maintien de ma protégée. Et sans aller jusqu'à apprendre le grec, elle

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