Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
Vom Netzwerk:
fortifia son esprit au point qu'on eût pu la laisser seule avec un de ces messieurs de l'encyclopédie. Elle lui aurait d'ailleurs sûrement expliqué par l'exemple certaines définitions scabreuses.
    Le neuf mai de l'année 1766, on exécuta ce pauvre comte de Lally-Tollendal sans qu'il n'eût vraiment compris pourquoi. Ce gentilhomme de souche irlandaise servait courageusement la France depuis sa jeunesse quand il fut nommé gouverneur de nos établissements aux Indes. Durant la guerre contre les Anglais, il s'y montra pourtant peu à son avantage, perdant coup sur coup plusieurs places avant de capituler à Pondichéry avec les débris de notre armée. Je l'avais rencontré une dizaine d'années auparavant, et je me rappelle d'un homme autoritaire à l'esprit plutôt capricieux. C'est d'ailleurs à cause de ce caractère qu'il se fit tant d'ennemis parmi les officiers français, qui ne le servirent pas avec le zèle nécessaire, dit-on. Pis, lorsqu'il s'agit de mener l'enquête sur la catastrophique reddition, on chargea ce chef arrogant de toutes les fautes. M. de Richelieu m'a raconté comment ces messieurs de la Compagnie des Indes avaient intrigué pour qu'il fût accusé de trahison. Je tiens même d'une certaine personne qu'un parent de M. de Choiseul, le marquis de B*, désobéit notoirement aux ordres de Lally-Tollendal pendant la campagne des Indes. Mais il fallait un coupable à nos désastres. Après un simulacre de procès, on envoya Lally-Tollendal causer avec Sanson, qui ne fit pas honneur à sa réputation puisqu'il échoua à décapiter le comte au premier coup de hache. Pris d'une fatigue nerveuse, le bourreau ne put pas continuer. Son père, déjà en retraite, mais venu au supplice en amateur, se proposa de monter sur l'échafaud pour sauver l'honneur familial. Il acheva la besogne.
    Cet injuste massacre vous donne l'air du temps. L'humeur était à la sévérité, l'insoumission des parlements n'arrangeant rien à la chose. C'était comme si on avait voulu faire peur pour mieux se garantir d'éventuelles ambitions de désobéissance. Ce ne fut pas le roi, le grand ordonnateur de ce dessein, mais plutôt la volonté de M. de Choiseul qui, dans les salons, s'avouait ami de Voltaire, et dans le secret de son ministère, traquait les libertés. Son sbire, M. de Sartine, le secondait on ne peut mieux dans sa chimère de tenir Paris dans sa main. Et il ne fallut pas longtemps pour que ces censeurs reviennent chercher noise à leurs anciens ennemis.
    Un matin du mois de mai, on frappa à ma porte pour s'enquérir du maître des lieux. Il s'agissait de trois agents du Châtelet qui demandaient à faire le tour de ma maison. Je fis répondre par Simon qu'il n'en était pas question mais ils lui mirent sous le nez un ordre du lieutenant criminel. Ils entrèrent et après une visite précise de chacune des pièces de mon hôtel, y compris de mes appartements privés, ils expliquèrent qu'une plainte avait été déposée contre moi au motif que je tenais une académie de jeu clandestine. La chose eût été comique si ces messieurs n'avaient été aussi sinistres. Je vous ai expliqué comment à cette époque – et aujourd'hui encore – le jeu régnait partout dans Paris. On le pratiquait dans des maisons officielles, mais aussi dans des endroits qui n'avaient de clandestin que le nom car ces cercles attiraient tous les gentilshommes de la ville. De toujours, on avait toléré ces pratiques, excepté si les lieux traînaient une réputation de repaires de tricheurs. Nul ne pouvait reprocher à ma maison cette infamie, et c'est ce que j'expliquai aux fonctionnaires du Châtelet. Je fus d'autant mieux entendu qu'il y avait chez moi seulement deux ou trois tables – bien garnies c'est vrai –, dont je pouvais toujours prouver qu'elles étaient composées d'amis. Mes explications mirent un terme à la visite des agents. C'était toutefois une semonce qui augurait de nouvelles persécutions.
    Je me mis donc en devoir de relancer Lebel afin de l'engager à une rencontre avec Jeanne. Il ne me parut pas utile d'informer M. de Richelieu : je savais qu'il préférait attendre un moment plus propice. J'en étais d'accord avec lui ; toutefois, il arrive que la prudence soit mauvaise conseillère, surtout pour une vilaine action. Et puis, je voyais régulièrement Lebel pour les gourmandes raisons dont vous êtes maintenant informé : je pensais venu le temps d'en tirer profit. Comme à son habitude, il me fit le

Weitere Kostenlose Bücher