Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
Vom Netzwerk:
abandonner provisoirement mes ambitions pour Jeanne. Le duc tenta de me rassurer : il ne s'agissait que de quelques semaines, peut-être un mois ou deux au plus, avant que l'orage ne passe.
    Car selon lui, la foudre allait bel et bien tomber. M. de Foullon voulait que l'on fasse des exemples : il était déjà en rapport avec Sartine. Bref, rien ne servait de me retrouver dans une geôle pour faire valoir mon innocence. Je me résolus donc à donner des ordres à Simon afin de préparer mon départ. Je demandai également à Nallut de venir me voir afin de l'informer de ma décision. Il était passablement nerveux et me dit qu'il envisageait lui aussi de prendre le large. Je l'en dissuadai vivement car c'eût été un aveu de nos arrangements. Non, il ne risquait rien en restant, lui promis-je, car on pouvait tout au plus lui reprocher quelques factures un peu salées, rien d'autre. Mes assurances ne semblèrent pas lui rendre la sérénité, et il me fallut lui garantir le soutien de M. de Richelieu pour qu'il ne filât pas dans l'heure à l'autre bout de l'Europe. En l'occurrence, le duc ne pouvait rien pour Nallut, cependant c'est le seul argument qui me vint à l'esprit pour calmer son désarroi. Bien sûr, je me doutais qu'il serait inquiété par les comptables de l'intendant ; toutefois, sa présence serait au moins un gage de sa bonne foi. Et puis, après tout, il avait jusqu'alors fait son beurre avec cet emploi. Dans les affaires, il n'y a pas que du bon, il le savait. Bref, il n'aurait qu'à se débrouiller. Ceci réglé, je m'attelai à mettre en ordre ma maison avant de partir. Je distribuai un petit pécule à mes filles pour qu'elles m'attendent le plus sagement possible. Restait Jeanne. Je fus tenté de lui demander de m'accompagner mais sa liaison avec M. de Sainte-Foy était des plus rentables, et il eût été dommage de l'interrompre alors qu'elle n'avait pas encore donné toute sa mesure. Je proposai donc au duc de veiller un peu sur elle pendant mon absence, ce qu'il me promit sans effort. À elle, j'expliquai ma situation, l'engageant à tenir ma maison comme si j'étais toujours là. Elle m'en fit le serment. D'une autre, j'aurais douté, mais de Jeanne, je savais que l'on pouvait accepter la parole en confiance.
    Mes préparatifs de départ furent tellement précipités que je n'ai pas encore eu l'occasion de vous dire où allait me conduire ma fuite. Je décidai de ne pas quitter le continent, et c'est la Suisse qu'il me plut de choisir, une terre où j'avais quelques connaissances. Simon me sut gré de lui épargner une nouvelle équipée en mer à laquelle il n'aurait cette fois pas survécu, je pense. Je quittai Paris au début du mois de juin en direction de Genève.
    Je passerai assez rapidement sur mon voyage vers ce beau pays. En cinq jours, je fus à Neuchâtel, où je restai deux bonnes semaines à l'excellent Hôtel de la Couronne – je le conseille aux voyageurs. Je me trouvai d'ailleurs ravi d'apprendre que Jean-Jacques Rousseau y avait également ses habitudes. À cette époque, il n'était plus en Suisse mais en Angleterre, où les persécutions du Parlement l'avaient contraint à se retirer après la publication de son Émile et du Contrat social . La lecture des deux m'a d'ailleurs convaincu de classer Rousseau au rang des grands esprits de notre siècle, et s'il m'arrive parfois d'en critiquer l'utopie, ses œuvres restent pour moi des guides. Je fus donc assez désappointé de ne pouvoir lui rendre visite lorsque je m'installai à Genève.
     
    Les Suisses me firent dans l'ensemble bon accueil. Ce pays est peuplé de gens qui parlent notre langue, bien qu'un étrange accent ne puisse manquer de dénoncer leurs origines. Beaucoup d'Allemands habitent aussi cette terre. Je ne me lancerai pas dans une leçon sur le système de gouvernement de ces peuples car il est positivement difficile à comprendre pour un autre qu'un Suisse. Les villes et les cantons qui forment cette Confédération, comme ils l'appellent, se déchirent depuis deux siècles à tout propos, en particulier à cause de la religion, mais arrivent tant bien que mal à se croire un destin commun. Je n'en dirai pas plus, un livre ne suffirait pas à peindre les subtilités de cette province. Il faut seulement savoir que leurs discordes n'ont pas empêché les Suisses de bâtir des cités prospères et industrieuses. Même en Angleterre, je n'ai pas vu autant de manufactures. On fabrique ici des tissages de

Weitere Kostenlose Bücher