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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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cotons qui se vendent jusqu'aux Amériques. En outre, si, comme on le sait, les Suisses sont les horlogers de l'Europe, il ne m'étonnerait pas qu'ils en deviennent également un jour les banquiers. Dans chacune des villes de la Confédération, des établissements de change font à ce peuple une réputation d'excellence dans l'art d'accommoder l'argent. Les protestants n'y sont pas pour rien. Sur la terre de Calvin, on rencontre en effet à peu près toutes les églises réformées, y compris les plus fanatiques. Car ici, comme parmi les catholiques, les exaltés se signalent par leurs égarements. C'est un fait : nul en ce monde n'a le monopole de l'intolérance. Dans les villes qu'il m'arriva de visiter, on était parfois plus vigilant des bonnes mœurs que chez les dévots du pape. Bref, pour un débauché, la Suisse a peu de relief.
    Je me rabattis sur quelques bonnes connaissances qui cultivaient leurs jardins secrets en cette matière, en même temps que je fis profit du bon air des montagnes. Je logeai notamment à Genève dans la maison d'un marquis italien dont la domesticité était composée de filles des plus aimables, toutes italiennes aussi. Je restai là quelque temps avant de courir deux ou trois autres villes avec Simon. Cela fait un moment que je ne vous ai pas entretenu de lui. Ce brave garçon prospérait et approchait maintenant les vingt-six ou vingt-sept ans, je ne sais. Sa carrure était admirable, sa taille propre à décrocher les lustres, et son visage toujours aussi ingrat. Au moral, mes leçons avaient porté un peu leurs fruits puisqu'il remplissait son office sans donner le sentiment qu'il n'y eût aucun autre sens à sa vie. Pour un médiocre, c'est toujours un réconfort de se savoir à sa place. Les années passant, il avait même acquis une fine connaissance de son maître, anticipant avec beaucoup d'à propos quelques-unes de mes manies privées. Ainsi, au lever, il savait presque exactement choisir mes vêtements sans qu'il ne me fût nécessaire de le reprendre. Il n'était pas devenu un élégant, loin s'en faut, mais sa longue observation de mes choix en ce domaine lui avait donné l'apparence du goût. À table, il se tenait également fort bien, de ce que je pus constater deux ou trois fois quand lors de mes voyages la modestie d'une auberge me contraignit à souper en sa compagnie. Tout cela, il me le devait. Je le lui rappelais fréquemment car les gens de son espèce ont aussi peu de mémoire de la reconnaissance qu'ils doivent, qu'un débiteur pour son vainqueur aux cartes.
     
    Les charmes de la Suisse n'allaient pas me retenir longtemps. Cinq semaines après mon arrivée, un courrier de Nallut me parvint à Genève. Ce qu'il m'y expliquait ne fut pas pour me déplaire. Jugez plutôt. Comme je m'y attendais, les agents de l'intendant Foullon lui avaient rendu visite quelques jours après mon départ de Paris. Nallut, à qui la peur donna du génie, se souvint que nous étions en affaire avec le marquis de Villeroy. D'abord, il répondit quelques fadaises aux questions pressantes des fonctionnaires, niant notamment avoir une quelconque attache avec moi. Cela aurait été bien court pour les agents de Foullon si ce brave Nallut n'avait ajouté qu'il reconnaissait en revanche s'être un peu rendu coupable d'agiotage avec le concours très minime, précisa-t-il, du marquis de Villeroy, le gouverneur du Lyonnais. On se souvient que ce dernier favorisait au meilleur coût le transport de nos marchandises jusqu'aux ports de Méditerranée, en échange des faveurs de Jeanne. Nallut ne donna pas ce dernier détail mais son aveu troubla suffisamment les enquêteurs pour qu'ils cessent leurs investigations afin de rendre compte à leurs supérieurs.
    Il me faut là vous dévoiler les raisons de cette hésitation. Le marquis de Villeroy était très apprécié de la famille royale, dont son oncle avant lui s'était montré un dévoué serviteur. Son épouse reçut même l'insigne honneur du tabouret chez la reine. On comprendra dès lors qu'il devenait embarrassant de chercher querelle à ce puissant seigneur, ou bien de compromettre d'éventuels commissionnaires avec qui il eût traité. La prédiction de M. de Richelieu se vérifiait : le scandale s'éteignait car trop de hauts personnages étaient intéressés aux rentables affaires de Corse.
    La lettre de Nallut achevée, je ne mis pas longtemps pour donner mon congé à mes amis genevois. À la fin de juillet, je rentrai sans

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