Pour les plaisirs du Roi
manies que ce ministre dissimulait.
Le jour de l'entrevue arriva. Je commandai à Simon d'accompagner Jeanne. Ils se rendirent au Louvre, dans une annexe du ministère de la Guerre où Choiseul avait l'habitude de travailler lorsqu'il séjournait à Paris. Deux heures plus tard, ils étaient de retour. J'interrogeai fiévreusement Jeanne : M. de Choiseul lui avait fait assez bon accueil, mais il écouta d'une oreille distraite sa réclamation. Il l'interrompit deux ou trois fois, me dit-elle, pour se faire redire qui elle était et comment elle connaissait Nallut. Il nota quelques détails. Bref, il ne parut accorder sur le fond qu'un intérêt passable à sa requête. Je l'interrogeai pour savoir si, sur la forme, il avait manifesté des signes qui donnassent à penser qu'elle ne l'eût pas laissé indifférent. Selon elle, à part qu'elle trouva M. de Choiseul plus laid que le tableau que je lui en avais dressé, rien dans son attitude ne trahit un émoi particulier. Il resta fort poli et point entreprenant. La chose m'étonna. Elle m'avoua qu'elle s'était effectivement trouvée un peu maladroite à ce sujet, et pas dans les meilleures dispositions. Les habiles séductrices ont aussi leurs mauvais jours. Cela tombait mal. D'autant que Choiseul avait conclu l'entretien en lui suggérant de se mettre en rapport avec l'intendant Foullon, ce qui était une manière de signifier une fin de non-recevoir.
Aux cartes, les cyniques disent qu'il faut toujours doubler la mise lorsqu'on perd gros. Car si on rate encore, le dépit précédent en sera effacé par celui-là. En revanche, si on gagne, la jubilation en devient plus puissante.
Muni de cette précieuse morale, je m'attelai à dicter à Jeanne un courrier à l'attention de M. de Choiseul. Elle y demandait une nouvelle entrevue, attendu qu'elle sentait bien s'être mal expliquée la première fois. C'était audacieux, j'en conviens. La réponse ne tarda toutefois pas : elle était positive. Je rayonnais. En acceptant de la revoir, Choiseul prouvait qu'il n'était pas aussi insensible à la cause de Jeanne. Un ministre de son rang n'a que faire des quémandeurs. Et lorsqu'il concède un avantage, c'est toujours pour en récupérer un autre. Cela tombait bien, Jeanne était d'une nature reconnaissante. Je la vis partir à ce second rendez-vous l'esprit plein de confiance.
Avec le recul, je me rends bien compte de ce qu'il y avait de vain à spéculer sur une telle martingale. Car lorsqu'on a pour seul ennemi un homme qui en a beaucoup d'autres, on croit souvent qu'il n'a pas que vous en tête. C'est faux. La suite allait me le prouver amèrement. Jeanne revint à peine une heure plus tard, la mine défaite. Elle éclata en sanglots à peine entrée dans mon cabinet. Je la pressai vivement de m'en expliquer la raison. Elle me fit alors le récit qui suit. Je n'en ai pas changé un mot, et je lui cède la parole.
« Je suis arrivée dans les bureaux de M. de Choiseul à l'heure dite. Je n'ai d'ailleurs pas fait antichambre plus de cinq minutes. On m'a ensuite introduite comme la dernière fois dans son petit salon de visite. D'abord, je le trouve assis, le nez plongé dans un grand livre, lisant à la lueur d'une chandelle. Il me voit, se lève lentement, comme embarrassé, puis me demande de m'asseoir pendant qu'il reste debout.
— Madame, me dit-il froidement, vous vouliez me revoir ?
« Cet homme me fait peur. Mais je ne laisse rien paraître, je me lance :
— Certainement, je pense ne pas avoir bien défendu ma requête. Pas assez clairement, je veux dire. Je sais qu'un homme comme vous a en charge de graves problèmes et qu'il me faut être explicite si je veux être comprise, lui dis-je en le regardant comme je sais faire quand je veux que l'on me comprenne bien.
— Madame me répond-il, votre affaire n'est pas des plus ardues à saisir. Et je vous ai orienté vers M. l'intendant Foullon, je crois.
— Certes, mais c'est à vous que je fais confiance.
— M. Foullon n'apprécierait pas, mais merci de votre estime. Toutefois, cela ne change rien à ma décision.
— Vous êtes très sévère avec moi, je vous pensais plus doux.
« Et je lui décoche une nouvelle œillade bien qu'il me déplaise de forcer ainsi le trait. Je n'ai pas coutume d'obliger à m'aimer. Mais bon, il est des affaires plus mal engagées qui se sont bien finies. Sauf que M. de Choiseul se pique tout à coup de me parler d'un ton plus vif :
— Madame, il m'est avis qu'on vous
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