Pour les plaisirs du Roi
avait quitté la Cour la veille sans avoir pu rencontrer le roi qu'on disait fort occupé au Grand Conseil. À mon récit, il comprit mieux les raisons de cette absence. D'après le duc, c'était maintenant qu'il s'agissait de bien conduire l'affaire : Jeanne avait plu, semblait-il, mais rien ne garantissait qu'elle durât. Certes l'impatience du roi à la revoir un second soir était un gage, toutefois, disait-il, on en avait vu, des guerres perdues malgré une première victoire. Selon lui, il fallait tout d'abord s'assurer des réactions de Lebel qui restait un pion difficile à maîtriser dans cette partie serrée. Il pouvait, par exemple, s'inquiéter d'un trop vif intérêt du roi envers ma protégée qui l'obligerait à avouer les véritables origines de Jeanne. Et ce valet, jaloux de son influence, n'aurait jamais gâté sa position pour celle d'une autre. Ensuite, la Cour était pleine d'espions, et s'il se découvrait trop vite qu'un nouveau visage divertissait le monarque, nous courrions le risque d'une contre-attaque de nos ennemis alors que nos positions n'étaient point encore fortifiées. Bref, M. de Richelieu insista sur la discrétion qui devait entourer ces débuts prometteurs. Il n'était pas rentré chez lui qu'un courrier de Lebel vint confirmer nos espoirs comme nos craintes. Le valet de chambre du roi m'écrivait en effet le souhait de son maître de revoir une certaine personne, mais qu'il ne fallait plus compter sur son concours pour héberger Jeanne, et que si je voulais bien venir à Versailles, il m'expliquerait pourquoi. Toutes affaires cessantes, je quittai mon hôtel, en prenant toutefois soin d'avertir Jeanne de se tenir prête à me rejoindre. Simon attela ma voiture et nous filâmes.
Lebel m'accueillit avec moins de cordialité qu'à l'accoutumée. Il ne s'embarrassa d'ailleurs pas de préliminaires pour me faire part de son agacement.
— Monsieur le comte, je pense que vous comprenez que je ne puisse continuer à prêter la main à ce que vous savez. Dans ma position, il m'est impossible de tromper plus longtemps la confiance du roi. Et Mlle de Vaubernier devra désormais trouver un autre appui à Versailles, m'asséna cet hypocrite.
— Vous me voyez bien surpris, M. Lebel.
— Je vous avais prévenu que Mlle de Vaubernier ne devait pas compter se faire une place durable auprès du roi.
— Deux nuits… ce n'est pas encore une sinécure…
— C'est le terme que j'envisageais. Pas plus. Le roi a semble-t-il une faiblesse pour elle. Je dis une faiblesse car il a beaucoup délaissé les affaires du royaume ces deux derniers jours.
— Vous m'écriviez pourtant que le roi voulait la revoir…
— Certes, cependant je ne sais pas si cela est bon pour lui…, osa-t-il.
— On m'a dit qu'il ne semblait pas s'en plaindre.
— Il est des maux qui prennent les couleurs du bien.
— Il est aussi des valets qui prennent des tons de maître, m'emportai-je alors.
Des années d'efforts n'allaient pas se trouver hypothéquées par ce vieillard merdeux. Lebel se renfrogna.
— Que voulez-vous dire ?
— Que le roi est le maître. Et personne ne saurait devancer ses souhaits sans son assentiment. Il veut voir Jeanne, il verra Jeanne puisque c'est son bon plaisir. Et vous le servirez car vous êtes son domestique.
Je ne sais ce qui me prit alors : je perdis toute prudence. Mon naturel impétueux ne pouvait plus souffrir les contorsions auxquelles je m'astreignais depuis trop longtemps devant ce pendard. Ce n'était peut-être pas le moment, mais une petite voix me souffla de persister dans ce genre.
— Bref, monsieur Lebel, je veux répondre favorablement à la volonté du roi. Vous introduirez Jeanne comme vous l'avez fait précédemment. On ne vous demande plus votre avis. D'autant que s'il m'en souvient bien, tout ceci est de votre fait.
— Mais…
— Il n'y a plus de mais, monsieur. Vous avez voulu faire plaisir à votre roi, vous y êtes parvenu. Vous ne voudriez pas qu'il soit déçu en apprenant quelques secrets que nous connaissons et qui pourraient mal le disposer à l'égard de Jeanne et… surtout à votre encontre.
Le bougre sentit le monde se dérober sous ses pieds. Il comprenait, mais un peu tard, qu'il avait introduit une brebis galeuse dans le bon troupeau des victimes consentantes. Il n'en tenta pas moins une rebuffade :
— Le roi a l'habitude des petites demoiselles comme celle-ci, il n'est dupe de rien, dit-il en faisant mine de se diriger vers une
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