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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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oublier de me communiquer. Pour le reste, Jeanne prenait avec une sage philosophie tout ce qui lui arrivait. Sa liaison avec le roi ne la changeait en rien, même si je lui remarquais une assurance nouvelle. On ne fréquente pas d'aussi près le trône de France sans en ressentir quelques privilèges. Mais sans aucune arrogance. Non, Jeanne restait celle qu'elle était par nature : une jeune femme vive, insouciante et toujours amoureuse. Cela faisait son succès auprès des valets comme des rois. Je dois d'ailleurs vous préciser qu'elle ne modifia rien dans son commerce intime avec moi. Et à cette époque, il nous arriva encore de nous livrer l'un à l'autre, lorsque je lui rendais visite à son appartement de la rue de l'Orangerie. Cette habitude s'estompa un peu avec le temps mais sa fidélité à ma cause n'en fut pas affectée. Toutefois, il n'était point encore l'heure de tirer les marrons du feu. Les hommes de finance vous le diront : il ne faut pas épuiser un négoce dans ses premiers temps, mais attendre qu'il soit affermi pour s'en verser une rente. Jeanne était mon commerce. Elle le savait. Je ne doutais pas que le moment venu, elle s'en souviendrait.

 
    Chapitre XXIX
    L assée de dépenser sa fortune pour entretenir les lambeaux d'une gloire passée, la république de Gênes abandonna à la France ses droits sur la Corse le 15 mai 1768. Cela ne m'intéressait plus que très mollement, bien que je gardasse dans un coin de mon esprit qu'il serait toujours temps d'exiger quelques avantages dans cette île quand on ne pourrait plus rien refuser à Jeanne. Pour l'heure, d'autres préoccupations se dessinaient.
    Plusieurs faits que je jugeai d'abord anodins mirent mon attention en éveil. J'avais tout ce temps continué à recevoir des gentilshommes dans ma maison où mes filles s'employaient à remplir leur office avec le même zèle. Cependant, quelques-uns de mes habitués s'étonnèrent de ne plus voir Jeanne, et je donnais le change en prétendant qu'elle s'était trouvé une passion pour un jeune prince qui la voulait souvent près d'elle. Toutefois, l'insistance des questions à son sujet de deux personnes en particulier, dont je savais les accointances avec les amis de M. de Sartine, commença de me mettre en alerte.
    Je ne suis pas d'une nature anxieuse, vous le savez, mais mes déboires avec les malfaisants du Châtelet m'avaient rendu méfiant. Car ce n'était pas tout. Une de mes domestiques s'était un matin trouvée questionnée par une soi-disant blanchisseuse qui offrait ses services. Et au motif qu'elle disait vouloir proposer un bon prix pour son éventuel labeur, elle demanda de nombreux détails sur mon logis, dont quelques-uns concernaient Jeanne. La domestique s'ouvrit de la démarche de la blanchisseuse à Simon qui me le répéta. Notre esprit est singulièrement fait : il suffit qu'on cache quelque chose pour que la plus banale coïncidence devienne un motif d'inquiétude. En l'occurrence, à tort ou à raison, mes doutes me firent me figurer ma maison entourée d'espions. Un excès de précaution ne nuisant jamais dans ce genre d'affaires, je passai à Simon des consignes très fermes quant à la nécessaire discrétion de mes gens, même s'il est vain d'espérer le silence d'un domestique. Mieux valait pourtant que cela soit dit.
    Mes craintes s'étayèrent grandement quand, au cours d'un souper où je fus, M. de La Ferté, l'intendant des Menus Plaisirs, révéla à la cantonade les rumeurs d'une nouvelle liaison du roi. Toute la Cour n'en bruissait pas encore, mais déjà, disait-il, Mme de Grammont s'affairait en coulisse pour en savoir plus. Elle se vantait de bien connaître le roi, et tout semblait concourir à confirmer qu'il y avait anguille sous roche, jasait-elle à ses intimes. On sait combien cette sœur de Choiseul avait conçu du dépit d'avoir été vertement éconduite par le roi. Ce soir-là, en raccompagnant M. de La Ferté, je lui demandai s'il pensait possible qu'une nouvelle maîtresse se fût fait une place près du trône.
    — Je ne sais, répondit-il, mais il est une certitude : le roi n'a jamais paru aussi enjoué depuis bien des années. Ou la vieillesse l'attendrit, ou bien c'est une femme. Je penche pour la seconde hypothèse, bien qu'il se puisse qu'il s'agisse d'une conjonction des deux, ajouta-t-il dans un sourire.
    L'honnête M. de La Ferté était perspicace.
     
    Rue de l'Orangerie à Versailles, Jeanne rattrapait durant le jour ses veillées

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