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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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que l'heure était venue d'éclairer Sa Majesté sur les bavardages du ministre. Il le fit très subtilement, mais suffisamment pour instiller le poison du doute dans l'esprit du monarque. Si vous voulez perdre une personne dans l'estime d'une autre, ne faites pas ouvertement le délateur : semez seulement l'incertitude, la défiance en poussera toute seule.
    De ce moment, le roi se mit à épier son ministre. Il demanda autour de lui qu'on lui rapportât ses faits et gestes. Des ordres furent donnés à M. de Sartine qui jugea opportun de ne pas s'en faire l'écho auprès de son ami M. de Choiseul. Jeanne me rapporta également que le roi s'agaçait de plus en plus fréquemment des initiatives de son ministre. Voyez l'inconstance des princes : depuis près de douze années, M. de Choiseul menait à sa guise les affaires de la France, sans qu'on le lui reprochât. Désormais, la moindre de ses décisions devenait prétexte à le soupçonner. Et à juste titre car, en deux mots, sachez que le duc de Choiseul était à cette époque suspecté de favoriser les parlements en rébellion contre le pouvoir royal. En outre, au chapitre de la politique étrangère de la France, il se murmurait aussi qu'il tentait de favoriser une guerre avec l'Angleterre, dont le roi ne voulait pourtant absolument pas. Nul n'en avait la preuve, mais la rumeur courait les ministères.
    Dans toute cette agitation, pensez bien que ma contribution fut modeste. Toutefois, il faut aux grandes crises de petites causes. C'est ce que se dit M. de Choiseul, qui chanta un peu partout que le clan de Mme du Barry voulait sa perte. Il savait bien qui étaient ses véritables ennemis, MM. d'Aiguillon, Richelieu et Maupeou, ce qui ne l'empêcha pas de manœuvrer afin de faire croire qu'il était la victime d'un complot d'alcôve. La chose était cocasse, mais de celle qui plaît au quidam. Et elle avait l'avantage de préserver sa belle réputation de brillant homme d'État.
    Hasard, au mois de novembre de cette année-là, la campagne de libelles contre Jeanne reprit avec vigueur. Un jour où je me trouvais dans une taverne des bords de Seine, un freluquet se tailla la vedette en récitant un pamphlet égrillard qui accusait l'entourage de la favorite de vouloir chasser l'honnête M. de Choiseul afin de pouvoir vider à satiété les caisses du roi. Les auteurs de ces chansons venaient chercher leurs ordres chez le ministre, et les répandaient ensuite dans tout Paris. M. de Choiseul s'imaginait ainsi contraindre le roi à entendre la rue qui prenait fait et cause pour lui.
    Le coup était adroit, mais c'était sans compter sur le ressentiment d'un commis du ministère des Affaires étrangères. Un petit abbé de presque rien, habile diplomate, mais tout écrasé par la superbe du ministre, et qui depuis plus de dix années remâchait son dépit d'être tenu dans l'ombre. Méfiez-vous des subalternes effacés et fidèles : il y a parmi eux beaucoup de parricides. Ce loyal collaborateur, donc, transmit un beau matin du mois de décembre à M. d'Aiguillon la copie d'une lettre de M. de Choiseul à un ministre espagnol. Au-dessus de sa signature, il y était écrit en des termes forts clairs que la guerre ne tarderait plus contre l'Angleterre. M. d'Aiguillon profita d'une visite chez Jeanne pour apporter ce document, qu'il lui demanda de remettre en main propre au roi. C'est bien incidemment, reconnaissez-le, qu'elle se fit alors le bras armé de notre vengeance 28 . Car la réaction du roi ne se fit pas attendre. Après avoir pris connaissance de la lettre, il convoqua M. de Choiseul afin de lui exprimer son courroux. La chose se passa dans le cabinet des appartements de Jeanne, où le roi aimait parfois à traiter des affaires de l'État. Nul doute que ce jour-là, il choisit ce lieu à dessein. L'entrevue fut glaciale. Le roi ordonna à son ministre d'écrire une nouvelle lettre dans laquelle il contredisait ses propos précédents : la guerre attendrait. Ceci fait, il le congédia sèchement. M. de Choiseul ne tenta même pas de se défendre. Il savait que la messe était dite.
    Le hasard voulut que nos carrosses se croisassent sur la route de Paris. J'allais à Versailles, M. de Choiseul en revenait. Je l'aperçus, la face toute blême, dans l'obscurité de sa voiture. Il ne me vit pas et je ne l'ai jamais revu depuis. Nous étions à quatre jours de Noël. La veille de ce jour béni, le duc de Choiseul fut renvoyé et reçut l'ordre de se retirer dans

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