Pour les plaisirs du Roi
ressentiment de beaucoup, en particulier pour ses mesures fiscales. Il y gagna le surnom de « vide-gousset ». Enfin, pour ce qui relève de sa vie privée, il est vrai qu'il laissa une réputation fort peu en accord avec son sacerdoce.
Chapitre XXXVII
C her lecteur, les ultimes chapitres de ce récit exigent un rapide préambule. D'éminentes personnes dont il va désormais être souvent question dans ces pages sont aujourd'hui devenues nos glorieux souverains. Toutefois, pour conserver au lecteur la sincérité comme la véracité de ce qu'il lira, je prends le parti de faire la recension des faits sans en tenir compte. Idem pour mes jugements d'alors, dont je ne travestirai rien. Tant pis si cette honnêteté peut me valoir des tourments. En tous les cas, je tiens à assurer Leurs Altesses Royales de ma profonde considération.
Je ne suis pas superstitieux, je vous l'ai confié plusieurs fois, mais il n'en est pas de même pour tout le monde. Le peuple, en particulier, aime à croire aux avertissements divins. Il se les figure bénéfiques ou maléfiques, c'est selon son humeur, ou en fonction de la nature des signes. En l'occurrence, au mois de mai 1770, l'horrible drame qui endeuilla le mariage du Dauphin Louis avec l'archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche fit jacter tous les Cassandres de Paris. Le soir du feu d'artifice tiré en l'honneur des jeunes mariés sur la place Louis-XV, des fusées retombèrent dans la masse des spectateurs venus en très grand nombre. Une immense frayeur s'empara alors de la foule qui se précipita en désordre vers les rues adjacentes. Tout fut emporté. Les forts poussaient les faibles, les jeunes piétinaient les vieux, et les enfants périssaient étouffés sous leurs mères. La panique causa près de deux cents victimes. Des noces sanglantes auguraient généralement d'une fin tragique pour les époux, expliquèrent les diseuses de sornettes et les charlatans de tout poil. Jusqu'à Versailles, on entendit de ces prédictions. La Dauphine s'en émut, mais son brave nouveau mari ne sut l'en distraire suffisamment pour qu'elle se rassurât. De cette époque, il me semble qu'elle voue aux Français une certaine défiance, peut-être même de la crainte. Et il n'est jamais bon que des monarques aient peur de leurs sujets. Mais passons. Enfin, pas tout à fait, car ce terrible événement me causa la perte d'une de mes filles. La pauvrette avait suivi au feu d'artifice M. Legros, le célèbre perruquier, dont elle était la maîtresse et presque une muse car elle possédait des cheveux parmi les plus beaux que l'on n'ait vus. M. Legros lui avait ce jour-là confectionné une coiffure extraordinaire, pleine de boucles et de frisures, au sommet de laquelle trônait un adorable Cupidon. Fort content de lui, il voulut en entendre un peu de compliments, et décida de mener ma pensionnaire sur la place Louis-XV. Legros était connu : on le félicita. Malheureusement, il ne savoura pas longtemps son plaisir. Aux premières fusées qui retombèrent dans le public, son beau travail fut gâché : une vague humaine emporta ma belle pensionnaire, dont le Cupidon flotta un instant avant d'être englouti dans la multitude. On la retrouva sans vie sous trois autres cadavres. Legros était du nombre. La confrérie des maîtres perruquiers lui fit des obsèques somptueuses.
Jeanne n'avait pas assisté au mariage du Dauphin. Le cérémonial de la Cour s'y opposait, mais dès le lendemain, elle participait en revanche à toutes les fêtes données en l'honneur des époux. Elle s'y montra fort gaie, attirant même l'attention de la nouvelle Dauphine qui voulut savoir qui elle était. De bonnes âmes la renseignèrent suffisamment mal pour qu'elle en conçût dès lors une vive défiance à l'égard de Jeanne. Marie-Antoinette d'Autriche avait à peine quatorze ans, et M. de Choiseul – qui avait imaginé ce mariage – comptait en faire son instrument afin de reprendre toute son influence sur le roi, ou au pire sur le prochain monarque. Car cette petite Autrichienne parlant à peine notre langue serait un jour la reine de France. Pour cela, mais aussi parce qu'elle était du caractère aimable que vous connaissez maintenant, Jeanne tenta de s'en faire l'amie. En pure perte. La coterie de M. de Choiseul ainsi que la vindicte des filles du roi se chargèrent de les brouiller à jamais. La Dauphine, qui gobait toutes les vilenies qu'on débitait sur Mme du Barry, déclara même ne pas
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