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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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au risque de déplaire à M. de Choiseul. En politique, la trahison nécessite quelques petits travaux d'approche avant un grand retournement. M. de Sartine venait de nous démontrer qu'il possédait cet art : les temps étaient maintenant à d'étonnants renversements.
    À partir de l'été, la coterie de M. de Choiseul essuya de cuisants revers. Je vous ai expliqué comment Mme de Grammont agitait la Cour de ses médisances. Et chez ses proches, on se faisait un style d'y enchérir par des calomnies puisées dans des eaux tout aussi saumâtres. Une petite comtesse de rien du tout voulant sûrement se faire une réputation poussa ainsi l'outrecuidance jusqu'à servir à Jeanne quelques méchantes répliques un soir de concert à Versailles. Une fois n'est pas coutume, mais Jeanne décida de s'en plaindre au roi. Le scandale ayant été public, la colère royale fut à la hauteur de l'affront : la comtesse dut plier bagage dans l'heure avec interdiction de reparaître à la Cour. Chez les amies de Mme de Grammont, on baissa d'un ton. Le roi fit savoir à la sœur de M. de Choiseul qu'il ne tolérerait plus qu'on insultât Mme du Barry. Il en profita pour faire à nouveau la leçon à M. de Choiseul, à qui il avait d'ailleurs beaucoup d'autres choses à reprocher dans la conduite des affaires de l'État. On l'avait notamment informé du double jeu que ce ministre était soupçonné de mener avec les parlements frondeurs. MM. d'Aiguillon et de Maupeou, entre autres, n'étaient pas les derniers à œuvrer à la perte de M. de Choiseul : le premier pour de nobles raisons, le second parce qu'il avait la trahison dans le sang. Et les deux comprirent bien vite le parti qu'ils pouvaient tirer de ma protégée. D'Aiguillon jouait de sa mine avantageuse pour faire le siège du salon de Jeanne, qui le recevait toujours avec beaucoup d'amitié. Je n'en ignorais rien puisque Chon m'en faisait la chronique fidèle à chacune de ses apparitions. M. de Maupeou, lui, eût été bien en mal de tenter de séduire Mme du Barry, attendu qu'il était aussi laid qu'un basset et à peu près de la même taille. Comme la nature fait souvent bien les choses, ce petit homme renfermait une loyauté en proportion : garde des Sceaux grâce à M. de Choiseul, il n'avait pas attendu longtemps avant de lorgner sur le ministère de son protecteur. Sachant cela, vous ne vous étonnerez plus de le voir presque chaque jour dans les appartements de Jeanne, où sa vilaine trogne grimaçait des flagorneries dignes d'un valet. Enfin, M. de Richelieu n'était pas moins zélé que les deux précédents pour saper le crédit de M. de Choiseul auprès du roi. Jeanne le voyait très souvent, et il comptait bien lui aussi prendre la place du ministre si celui-ci venait à tomber en disgrâce.
    Et moi dans tout cela ? Eh bien, je vous avoue que ces manœuvres autour de Jeanne m'agacèrent un peu. Après tout, elle était ma création et je m'estimais autant de talents que beaucoup de ces gens. Devenir ministre ? Je vous rassure, je n'y pensais pas. Toutefois, il me fallait garder un œil sur tout ce qui se tramait. Il en allait de Jeanne comme d'un beau tableau : vient un temps où l'auteur doit laisser filer son œuvre chez d'autres, en veillant cependant que personne n'usurpe sa signature.
     
    Dans le secret de son âme, M. de Choiseul méprisait à peu près tout ce qui n'était pas lui. Le roi n'échappait pas à ce profond dédain qu'il témoignait au monde. Parfois même, il ne pouvait s'empêcher de pérorer sur celui qu'il appelait avec condescendance son « petit maître ». Cependant, le cercle de ses proches ne comptait pas que des discrets. Quelques-uns d'entre eux croyaient se rendre intéressants en colportant les irrévérences du ministre, si bien que la Cour en bruissait régulièrement. Et comme souvent dans les tromperies, personne n'osait le répéter au principal intéressé. Certes, mais tout a un terme. Et je ne connais pas de cocu qui ne finisse par s'en douter. Dans cette sombre cohorte, il y a deux obédiences : les cocus qui pressentent avant tout le monde – ce sont ces jaloux qui, comme je l'ai expliqué plus haut, précipitent même parfois l'issue fatale par leurs craintes. Ceux-là sont rares. Ensuite, bien plus nombreux, on compte les dupés, qui savent après tout le monde. Le roi était de ce parti. Un jour, alors qu'il montra en privé un mouvement d'humeur à la lecture d'une lettre de M. de Choiseul, M. de Maupeou estima

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