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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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complicité, confirma à mon cadet mon départ pour Montpellier. Malgré son aversion pour les longs périples, il se rendit dans cette ville pour me retrouver, moi et l'héritage. Évidemment, il n'eut là-bas aucune nouvelle de moi. Fou de rage, il en conclut – avec un certain à-propos – que j'avais traîtreusement abandonné ma famille pour m'exiler en Italie, pays dont, c'est vrai, j'avais à cette époque toujours souhaité connaître le charme. De retour à Toulouse, il passa chez le notaire Forland où sa colère redoubla quand il eut connaissance de la transaction que j'avais acceptée. Aigri, dupé et ravagé de rancœur à mon égard, il retourna porter de mes nouvelles à ma famille et se terrer dans notre domaine, bien décidé à ne pas manquer, cette fois, son coup de fusil s'il me prenait l'envie de faire amende honorable.
    Tout cela, je l'ai su de la plume de ma chère Adélaïde qui, durant toutes ces années, me donna des nouvelles du pays, même si je dois confesser que cela m'importa sincèrement très peu d'en avoir. Vous voilà maintenant informés.

    Mme du Deffand était une des figures de ce Paris qui gouverne l'opinion. Longtemps, elle avait tenu la première place à la Cour, certains affirmant que sa liaison de jeunesse avec le Régent s'était poursuivie dans le lit de son royal pupille. Peu farouche, elle avait collectionné les affaires de cœur, d'autant que son mari, déjà fort rassis quand elle l'épousa, eut le bon goût de ne jamais s'en émouvoir. Veuve, ayant désormais passé les cinquante ans, elle gardait une indéniable beauté, une silhouette remarquable, mais surtout conservait cet esprit qui en faisait une des femmes les plus recherchées de Paris. Installée dans les anciens appartements de Mme de Montespan, rue Saint-Dominique, elle tenait un salon qui accueillait les beaux esprits, les artistes, les écrivains et les désœuvrés fortunés. Elle régnait sur cette société en femme parfois savante, toujours courtoise, bien qu'une méchante affection la rendît un peu plus aveugle chaque jour.
    Je me fis annoncer chez la marquise un après-midi, muni de la lettre de la baronne d'A . Elle me reçut sans façon, avec beaucoup de grâce, et accompagnée d'une très jeune personne dont elle me dit qu'elle était la fille de son frère, M. de Lespinasse. Après m'être présenté, je lui remis le billet de la baronne, qu'elle donna à lire à sa nièce, sa vue ne lui permettant plus de déchiffrer, avoua-t-elle tristement. Je jugeai le procédé un peu indiscret, espérant vivement que la baronne aurait usé d'un style mesuré pour me recommander à son amie. Mlle de Lespinasse décacheta la lettre et la lut lentement à haute voix :
    « Chère et tendre amie, voilà bien des mois que je n'ai eu le loisir de vous écrire. Veuillez m'en pardonner, mais je sais que notre amitié ne se jauge pas à la quantité de l'encre dont on use pour en prendre des nouvelles… »
    La marquise interrompit sa nièce :
    — C'est vrai, laissons à ceux que l'on déteste la corvée de souvent s'enquérir de nous, surtout quand nous sommes infirmes, dit-elle avec ironie.
    Je ne sus quel parti prendre, mais la jeune nièce me sortit de l'embarras en poursuivant sa lecture.
    « … Pour ma part, sachez seulement que la province me pèse et le bonheur de voir grandir mes enfants ne suffit pas à faire taire la femme du monde qui se morfond sous la mère de famille. La Cour me manque comme j'espère que je lui manque… »
    Mme du Deffand coupa à nouveau Mlle de Lespinasse :
    — Chère baronne… La Cour n'a pas plus de mémoire qu'une maîtresse de dix-sept ans. On s'absente un jour et il faut un mois pour se refaire une place ; on la quitte une année, une vie ne suffit pas à reprendre son rang. Nul ne peut l'ignorer, la baronne encore moins. Mais pardonnez-moi, continuez Julie.
    « Toutefois, je ne vous écris pas pour me plaindre. La personne qui vous remettra ce billet, M. le comte du Barry, m'a témoigné des hommages d'une qualité dont vous et moi savons qu'elle est trop rare chez beaucoup de gentilshommes, et comme vous en jugerez, je l'espère. »
    La nièce toussota légèrement avant de reprendre :
    « Son esprit comme son éducation devraient également trouver à s'employer parmi votre éminente société. Pour cela je me permets de vous demander de lui faire bon accueil, et d'user avec lui des mêmes grâces que vous avez eues pour moi. Votre très attachée et

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