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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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Et je ne saurais trop conseiller à ceux qui souhaiteraient emprunter ma voie de ne jamais précipiter le destin en terre inconnue. Il s'en charge pour vous. C'est, malgré toute ma réserve, ce qui arriva quand le lendemain j'acceptai d'accompagner ma nouvelle connaissance à l'hôtel de Marchainville où elle avait ses entrées et où l'on s'amusait beaucoup, affirmait-elle. L'endroit cultivait le paradoxe d'être favorablement connu pour abriter une académie clandestine de jeux. Tout le monde le savait, le lieutenant général de police également, qui s'en accommodait d'autant plus qu'il y venait parfois. À côté des établissements autorisés, comme l'hôtel de Soissons ou celui de Landisay, ces académies clandestines permettaient de jouer gros jeu, attirant le beau monde en même temps que les écus. Aux lecteurs éclairés de ces choses je n'apprendrai rien, mais pour les autres, j'ajouterai qu'il en existe encore aujourd'hui de nombreuses à Paris – plus de deux cents me dit-on –, tenues souvent par des femmes de bonne naissance, veuves ou désargentées – chez qui j'ai de nombreuses amitiés, on le verra plus loin. Comme à cette époque, elles sont le rendez-vous d'une foule attirée par la fièvre du pharaon, du piquet ou du trente et quarante. Tout le monde joue, c'est de la rage : femmes, hommes, vieillards, jeunes gens, riches et pauvres ; chacun, à la mesure de sa bourse ou de son crédit, peut se faire une place autour de la table. Et nos philosophes seraient bien attrapés d'y voir, cartes en mains, les hommes tous égaux. Une bonne levée rachète un quartier de noblesse manquant car le seul privilège qui règne ici sans partage est celui de la chance. On fait fortune un soir, on se ruine le lendemain, l'important est de faire bonne figure. Et comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, un beau perdant sera toujours plus estimé qu'un gagnant.
     
    Mme de Marchainville, authentique aristocrate, veuve du comte du même nom, s'était acoquinée avec un sieur Poirier pour ouvrir cette académie dans laquelle je me rendais après avoir converti une lettre de change de deux mille livres en cinq rouleaux de doubles louis qui furent la meilleure carte de visite pour mon introduction auprès de cette aimable société. Ma compagne du soir était ici fort connue ; elle me présenta à quantité de barons, chevaliers, comtes et marquis dont je suis bien incapable de dire qui avait ses quartiers et qui les usurpait. Tous les salons de l'hôtel étaient occupés par des tables de jeu ; seuls quelques boudoirs étaient dédiés au repos et à la conversation. Mais c'est dans le grand salon que se pressait la foule, autour de deux tables où les parties de pharaon et d'hombre rassemblaient les plus gros joueurs. Évidemment, c'est également là que la meilleure société se retrouvait et que me conduisit ma curiosité. La jeune femme qui m'accompagnait, appelons-la Marthe pour plus de commodité – si elle est encore de ce monde, elle ne nous en voudra pas de ne pas dévoiler son véritable nom –, avait assez d'entregent pour nous obtenir la première place qui se libéra à la table. Je n'étais alors pas très rompu aux cartes – je me suis assez bien amélioré depuis –, j'ouvris donc avec une certaine prudence. Comme toujours, la chance me sourit d'entrée et je ramassai rapidement une coquette somme qui m'encouragea – Marthe de concert – à pousser plus avant. Il y avait notamment à cette table, je m'en souviens fort bien, un gentilhomme à la mine tellement basanée qu'il semblait débarquer tout droit d'une galère barbaresque, malgré un léger accent allemand. Cet étrange personnage ne se départait jamais d'un ambigu sourire, que les cartes lui soient favorables ou pas. J'avais déjà raflé une belle part de ses mises quand les dieux du jeu décidèrent de changer de favori. En quelques tours, le Maure se refit. Il pilla si bien la table que je fus bientôt obligé d'engager un nouveau rouleau de doubles-louis. Marthe veillait toujours sur moi, me réconfortant de quelques conseils gracieux au-dessus de l'épaule. Ils ne suffirent pas à me garantir du naufrage. Une heure plus tard, mon dernier louis fut consacré à offrir un excellent vin de Champagne à toute la table.
    Ce geste me valut un vrai succès d'estime, mais je m'éclipsai tout de même, déclinant la généreuse proposition de crédit du vainqueur. Messieurs de Valfons et de Lowendal me complimentèrent pour ma

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