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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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de trois soirs plus tard, Mlle de Lespinasse disserta avec moi jusque très avant dans la nuit. Douée d'un bel esprit, elle se livra à des travaux où le corps eut toute sa part. Notre accord fut excellent, tant et si bien qu'entre nous une petite habitude s'installa : je faisais un détour par la chambre de Julie à chacune de mes visites dans les salons de sa tante. La marquise me fut reconnaissante de ce manège, d'autant que les plus perspicaces d'entre vous auront compris le véritable ressort de sa proposition. Depuis que Mme du Deffand s'était rendu compte qu'elle nourrissait une rivale en son sein, elle s'en était secrètement émue. Julie avait trente ans de moins que la marquise. Un avantage fatal qui, craignait-elle, pouvait lui faire perdre la primauté auprès de ses commensaux. Et ma présence devait pourvoir à rassasier les ardeurs de Mlle de Lespinasse. Mais cela ne durerait pas toujours. Julie s'affranchit un beau matin de la tutelle de sa tante et, comme vous le savez, ouvrit un des salons les plus courus de Paris. Mais nous n'en sommes pas là, ceci est une autre histoire où je ne fus qu'un figurant de passage.
    *
    Mes régulières apparitions rue Saint-Dominique m'offrirent de nouvelles perspectives. De l'avis de tous, il était plus que temps que je goûte à Versailles. Un certain M. de Saint-Rémy me proposa son aide pour m'assister dans le fastidieux protocole de la présentation. Gentilhomme normand d'une souche qu'il disait remonter à Guillaume le Conquérant, M. de Saint-Rémy avait connu Versailles quelques années avant la mort de Louis le Grand, où il était page de la reine. Depuis cette jeunesse glorieuse, il entretenait une certaine morgue envers les manières de l'actuelle Cour, dont il critiquait sans cesse le laisser-aller vis-à-vis de l'étiquette. Dans le cénacle de Mme du Deffand, il tranchait d'ailleurs positivement, tant les esprits aimaient s'y affranchir des vieilles règles, mais la marquise supportait les lubies de M. de Saint-Rémy pour d'importants services qu'il lui avait rendus du temps du Régent. À l'entendre, la Cour ne serait bientôt plus qu'un salon bourgeois dont les membres se recrutaient chez des ennoblis d'à peine une génération, oubliant souvent que nombre des habitués de la rue Saint-Dominique étaient présentement dans ce cas. Cela ne le troublait guère, et lorsque Mme du Deffand lui faisait remarquer qu'un tel, chez qui il dînait très souvent, avait deux grands-pères roturiers, il se fendait d'une petite moue dédaigneuse avant d'ajouter très sérieusement que l'ancienneté des millésimes de la cave de son hôte rachetait un peu la jeunesse de son blason. M. de Saint-Rémy était d'autant plus fielleux que sa fortune avait disparu lors de la banqueroute de Law, preuve selon lui que l'on avait tort de faire confiance à des gens sans passé. Et après une honorable carrière sous les armes, il était désormais petitement pensionné grâce à sa croix de Saint-Louis obtenue à la bataille de Dettingen.
    Toutefois, pour améliorer son ordinaire, il s'était fait une spécialité de la généalogie. On faisait souvent appel à lui pour prouver ses quartiers ou pour exhumer une parenté lointaine avec tel ou tel grand seigneur, de préférence des princes, des ducs, voire des rois. Bref, il se proposa naturellement de m'aider à rassembler mes preuves afin de pouvoir être rapidement présenté à la Cour. Le juge des armes, le chevalier Louis Pierre d'Hozier, était un de ses proches amis, et la formalité ne devrait pas prendre plus de quelques semaines. Bien sûr, il ne doutait pas que ce serait pour moi très facile de faire état de mes titres, d'autant qu'il connaissait l'ancienneté de mon nom. Je lui confirmais que cela ne posait aucun problème, excepté que mes papiers de famille étaient à Lévignac, et que, pour les raisons que vous savez – je ne lui disais pas la réalité –, il m'était difficile de les rassembler promptement. Heureusement, M. de Saint-Rémy avait de la ressource. Cela me coûta quelques centaines de louis, mais sur la foi de ma parole et des détails que je lui donnais sur mes aïeux, il retrouva bien vite la trace de ma famille dans des traités de généalogie. Ce point éclairci, il m'indiqua une sorte d'officine discrète où l'on pourrait mettre tout cela noir sur blanc, avec le plus parfait caractère d'authenticité. Il me demanda de ne pas me formaliser de la méthode, arguant que beaucoup de

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