Pour les plaisirs du Roi
?
— Non monsieur le comte, souffla-t-il en grimaçant.
— Nous y voilà. C'est donc la fille.
— Oui, mon maître.
— Et comment sais-tu que tu l'aimes ? Explique-moi, tu m'intéresses.
Simon sembla se décrisper un peu.
— Eh bien monsieur le comte, tout ça c'est la faute de mon cœur… euh, je veux dire de mon cerveau.
J'avais du mal à me contenir de pouffer. Il continua, les yeux toujours baissés :
— Quand je l'ai vu à Stuttgart, dans l'auberge où j'ai recruté vos gens, j'ai été comme transformé en statue de pierre. Ma poitrine s'est serrée, j'ai eu du mal à respirer et je ne pouvais plus m'empêcher de la regarder.
— Je te félicite, c'est ainsi que tu choisis les gens pour me servir, dis-je d'un ton courroucé.
— Oh non, monsieur le comte, sa mère s'était présentée en premier, ce n'est qu'après que je l'ai vue. Elle a été fort aimable et, de ce jour, elle a toujours un mot gentil pour moi, une attention. Je crois qu…
— Tu crois qu'elle partage tes sentiments ? le coupai-je.
Il se redressa légèrement, leva avec précaution les yeux vers moi et répondit par l'affirmative. La chose était grotesque. Car à moins que la soubrette ne fût aussi stupide que lui, il était impossible de trouver du charme à cet escogriffe. Simon était aussi sot que naïf : c'était joué d'avance, la petite servante ne lui témoignait de l'attention que parce qu'elle le savait le valet de son maître, rien de plus. Mais ce bougre de Simon s'en faisait une romance. Je décidai de lui jouer une farce à ma façon qui, en même temps qu'elle l'éclairerait sur la nature humaine, calmerait ses élans. Car je ne l'avais pas sorti de son ordure pour qu'il contât fleurette.
Le lendemain matin, je m'attardai dans ma chambre pour mieux observer l'objet des soupirs de mon valet. J'étais encore en chemise quand on frappa à ma porte. J'avais pris soin d'envoyer Simon faire une course en ville et j'ouvris moi-même la porte de mon appartement. C'était la fameuse Inge. D'un physique passable, elle avait toutefois un petit air de je-ne-sais-quoi qui fait souvent tourner la tête des valets de ferme. En plus de cela, elle avait hérité de sa robuste mère une gorge des mieux remplies. Le reste ne semblait pas mal non plus, autant que je pouvais en juger. Simon aurait pu plus mal choisir. C'était d'ailleurs la preuve qu'il n'avait aucun entendement car la jeune fille pouvait briguer bien d'autres prétendants que lui. Elle me demanda dans un très mauvais français si elle devait revenir. Je lui répondis que non, mais qu'elle pouvait commencer son labeur dans l'instant. Je ne me pressai pas pour m'habiller : j'en profitai pour lui poser quelques questions d'un air détaché. J'appris très vite à qui j'avais à faire. La demoiselle allait sur ses dix-huit ans, me dit-elle, et elle avouait que la condition de femme de chambre n'était qu'un pis-aller. Elle ambitionnait de rentrer à Stuttgart, où une amie de sa mère lui promettait de la placer dans une boutique de mode – on verra plus loin dans le récit ce qu'il faut penser des jeunes personnes qu'on trouve généralement dans ces commerces. La jeune fille avait fait montre jusqu'alors d'un naturel discret, toutefois ma conversation ne semblait pas l'intimider. Toujours en chemise, je me hasardai à la fixer de temps à autre, de manière ostensible, de façon à ce qu'elle le remarquât. Comme je m'y attendais, elle ne s'en formalisa pas, me rendant même délicatement un sourire pour chaque œillade. Content de cette entrevue, je la libérai avant que Simon ne revînt.
Le jour suivant, la scène se rejoua, avec toutefois des dialogues mieux rodés, les acteurs n'en étant plus à leur première. J'étais dans mon lit quand elle frappa à ma porte. Je commandai d'entrer et après une petite mine de surprise, elle me souhaita le bonjour d'une charmante façon. Quand je me levai, ma chemise ne laissa rien ignorer de mon vif intérêt pour Inge. Elle le remarqua sans tarder et fixa si bien ses yeux sur la chose qu'elle fouetta doublement mes sens. J'allai à la porte et tirai le verrou. Inge ne s'en inquiéta pas. Un instant après, elle me montrait comment une ingénue de dix-huit ans pouvait receler le vice d'une femme de trente. Je passai un excellent moment en sa compagnie jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Estimant qu'il était temps de donner sa leçon à Simon, je l'appelai à travers la porte de mon appartement. Le pauvre
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