Pour les plaisirs du Roi
goût d'un autre commerce et les beautés allemandes offrirent un heureux divertissement à ma mission. Ma curiosité me conduisit d'abord à Stuttgart, cité dévote de prime abord, mais qui cachait hypocritement des petites maisons à l'ombre de deux anciens couvents. J'y fis des retraites régulières. Dans un de ces établissements, en particulier, deux ravissantes jeunes Souabes d'à peine vingt ans chacune entreprirent de m'apprendre les subtilités de leur langue lors de mes visites. À l'issue de ces douces leçons, elles ne se lassaient pas de me faire promettre de les amener un jour en France, ce que je leur jurais, bien que cela ne fût guère dans mes intentions. Mais vous connaissez ma philosophie : les serments n'engagent que ceux qui les réclament.
À Ludwigsburg, mon activité galante était plus discrète. La taille de la ville ne permettait pas de garder secret bien longtemps des libertinages, et le rôle qui m'avait été dévolu ne pouvait souffrir une trop abondante publicité à cet endroit. J'en avais pris mon parti quand la bonne étoile des débauchés mit un étrange couple sur mon chemin. Ayant fait vœu de sincérité dans ce difficile exercice de mes Mémoires, je vais rendre compte maintenant d'une expérience qui heurtera beaucoup d'entre vous. Tant pis si j'y perds encore un peu de votre estime.
Lors d'un souper chez un intime de la famille du duc de Wurtemberg, on me plaça près d'une très belle dame d'une trentaine d'années dont l'époux était également présent mais à une autre table. La conversation s'engagea naturellement avec ma voisine et, au cours de la soirée, il me parut clairement que je plaisais. Je savais le mari non loin de là : soucieux de ne pas susciter de scandale, je m'appliquais à garder une attitude honnête devant les allusions de plus en plus évidentes de la dame. J'avais même pris le parti de me retirer quand l'époux vint nous rejoindre : il s'assit entre sa femme et moi. L'homme avait une quarantaine d'années, des traits fins presque féminins, et arborait un habit parfaitement coupé, orné de deux décorations étrangères que je ne pus reconnaître. Il se présenta comme un envoyé du royaume de Suède et j'avoue que son nom ne me revient plus. Ce dont je me souviens fort bien en revanche, c'est qu'il resta d'une politesse exquise lorsque son épouse reprit son manège à mon égard. Gêné, je fis de mon mieux pour masquer le ton scabreux que la dame s'ingéniait à donner à la conversation. Je ne suis pas pudibond, mais je vous engage à vous mettre à ma place pour juger de l'embarras de la situation.
Au bout d'un moment, le couple se leva et me proposa sans détour de venir achever la soirée par une partie de cartes dans leur demeure. L'invitation était claire. Du moins pour celui qui comprend ce genre de manières. Je suis de cette espèce-là : je fis donc à mon tour comprendre que le projet m'agréait. Nous prîmes congé de notre hôte avant de gagner un charmant appartement dans un hôtel des abords de la ville. Là, je fus traité avec beaucoup de délicatesse. L'époux me fit une conversation des plus agréables pendant que sa femme me servait un excellent vin de Champagne. À un moment, elle disparut et nous commençâmes à jouer. Quelques minutes plus tard, elle réapparut, aussi déshabillée qu'on peut l'être. Je ne manifestai aucune surprise, même lorsqu'elle vint me prodiguer des soins qui entamèrent quelque peu ma vigilance et me firent perdre deux parties de suite. Son mari semblait prendre beaucoup de plaisir à la scène et me demanda s'il pouvait également se mettre dans une tenue plus légère. Je l'en priai, d'autant que moi-même je me débarrassai de mon habit pour témoigner les plus vifs transports à la dame. La suite s'avéra plus indécente encore car l'homme sollicita de ma part des services qu'il est de coutume de demander à une femme. Là encore je ne me dérobai pas, mon attrait pour la nouveauté ayant toujours guidé mes sens. À la fin de notre complexe débat, je jouissais en elle au moment où il s'abandonnait en moi. La chose ne me plut que modérément et cette manie n'est pas de celles que j'affectionne depuis. Mais au moins, j'en sais désormais plus que beaucoup à ce sujet. Que dire de plus ? Cet étrange couple ne pouvait s'aimer qu'en compagnie d'un tiers. Je fus celui-là l'espace d'une nuit. Le piquant de l'affaire, c'est que l'homme s'avouait un jaloux : la nature humaine recèle
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