Pour les plaisirs du Roi
Mes appuis me garantissaient en outre une certaine tranquillité du côté des sbires de M. de Sartine, même si je n'envisageais pas de composer une maison publique à l'égale de celle de Marguerite. Non, mon dessein était plutôt d'abriter dans mon hôtel un salon de rencontres entre des gentilshommes de qualité et mes jeunes recrues. Tout serait fort honnête et rien ne s'y déroulerait qui heurtât la morale. Mais si par bonheur deux êtres – ou plus – se trouvaient quelques motifs à se plaire, ils pourraient aller s'en entretenir dans un des appartements privés que je louais à deux pas de ma demeure. Voilà dans les grandes lignes le plan auquel je m'attelais lors des premières semaines de l'année 1758.
D'abord, il me fallut dénicher un petit nombre de sœurs pour ce que je pris très vite l'habitude de dénommer mon couvent. Comme je l'ai évoqué plus haut, les maisons de mode de Paris recèlent de nombreux talents en des domaines qui ne se cantonnent pas à la couture. Allez savoir pourquoi, mais on ne compte plus les établissements de cette nature où les filles qui y travaillent ne rechignent pas à se laisser séduire contre quelques appointements. Je signale par ailleurs que les officines de perruquier sont également un excellent vivier pour ce genre de créatures. En quelques semaines, j'écumai donc ces lieux et fis une jolie moisson de candidates, le mot ayant couru qu'il y avait une belle place à se faire. Les prétendantes se multiplièrent, si bien que je fus obligé de demander la discrétion afin de préserver ma tranquillité. La rumeur parvint jusque chez les pensionnaires de Marguerite dont deux ou trois vinrent m'offrir leurs services. En mémoire de mon association avec leur maîtresse, je déclinai leur offre, et aussi parce qu'elles étaient déjà notoirement connues sur la place. Il était capital de trouver des filles non seulement belles et de mœurs accommodantes, mais qui n'eussent pas chevauché tout Paris. Jusqu'au mois d'avril, je n'épargnai pas ma peine avant de rassembler une demi-douzaine de jeunes femmes qui répondaient à mes exigences. Trois d'entre elles venaient à peine d'arriver à Paris, et je n'avais pas lésiné sur les promesses afin de convaincre ces provinciales de rejoindre ma compagnie. Du plus bel effet, elles ajoutaient la candeur à une beauté sans faiblesse. Deux autres étaient employées chez une modiste du Palais-Royal : l'une, aussi brune que sa comparse était blonde, elles formaient une paire difficile à séparer. Sans défaut elles non plus, elles n'avaient jamais exercé leurs talents au-delà de la maison de leur patron, un vieux libertin que je connaissais bien et qui me les céda en échange d'un service important auprès d'une de mes puissantes relations. Enfin, la dernière recrue de ma petite phalange n'était pas la moins jolie ni la moins piquante car elle venait de s'échapper d'un véritable couvent pour rejoindre le mien. De toutes, elle était la plus sensuelle, et aussi la moins experte. Elle ne demandait qu'à apprendre, ce à quoi je m'attelai avec le plus grand soin.
Chacune de mes charmantes novices était logée dans un coquet appartement, à proximité de mon hôtel de la rue des Petits-Carreaux. Tous les jours, elles me rendaient visite par la porte dérobée qui m'avait tant plu lorsque je choisis mon logement. Une par une ou par paire, je les instruisais de tout ce qui pourrait leur être utile dans leurs activités. Bien sûr, il était clair qu'en échange du gîte et du couvert, en plus d'un pécule rondelet que je leur garantissais chaque quinzaine, elles me devaient fidélité absolue. De même, j'édictai par contrat que tous les subsides, cadeaux et autres rétributions qu'elles recevraient de leurs galants me reviendraient aux deux tiers. Et s'il leur prenait l'envie de faire cavalier seul, je stipulais qu'elles ne pourraient rien conserver de leurs gains. Enfin, car en ce genre de commerce il faut de la fermeté, je les aiguillonnais souvent en les menaçant de recourir à l'effrayant Simon si elles manquaient à leur parole. Ce n'était qu'une intimidation : il m'a toujours rebuté d'obtenir quoi que ce fût d'une femme par la violence. Mais pour mes affaires, il était bon qu'elles crussent le contraire. Voilà donc pour les fondements de l'entreprise qui m'a poussé jusqu'où je suis parvenu aujourd'hui. Il restait à lancer tout ce petit monde dans la bonne société.
Le lundi douze juin
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